Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/474

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Son mari, trop soupçonné dans l’Europe, ne fut ni avant ni après cet événement accusé d’aucune action qui eût de la noirceur ; et on trouve rarement des criminels qui n’aient fait qu’un grand crime. Le genre humain serait trop malheureux s’il était aussi commun de commettre des choses atroces que de les croire.

On prétendit que le chevalier de Lorraine, favori de Monsieur, pour se venger d’un exil et d’une prison que sa conduite coupable auprès de Madame lui avait attirés, s’était porté à cette horrible vengeance. On ne fait pas attention que le chevalier de Lorraine était alors à Rome, et qu’il est bien difficile à un chevalier de Malte de vingt ans, qui est à Rome, d’acheter à Paris la mort d’une grande princesse.

Il n’est que trop vrai qu’une faiblesse et une indiscrétion du vicomte de Turenne avaient été la première cause de toutes ces rumeurs odieuses qu’on se plaît encore à réveiller. Il était à soixante ans l’amant de Mme de Coëtquen, et sa dupe, comme il l’avait été de Mme de Longueville. Il révéla à cette dame le secret de l’État[1], qu’on cachait au frère du roi. Mme de Coëtquen, qui aimait le chevalier de Lorraine, le dit à son amant : celui-ci en avertit Monsieur. L’intérieur de la maison de ce prince fut en proie à tout ce qu’ont de plus amer les reproches et les jalousies. Ces troubles éclatèrent avant le voyage de Madame. L’amertume redoubla à son retour. Les emportements de Monsieur, les querelles de ses favoris avec les amis de Madame, remplirent sa maison de confusion et de douleur. Madame, quelque temps avant sa mort, reprochait avec des plaintes douces et attendrissantes, à la marquise de Coëtquen, les malheurs dont elle était cause. Cette dame, à genoux auprès de son lit et arrosant ses mains de larmes, ne lui répondit que par ces vers de Venceslas[2] :

J’allais… j’étais… l’amour a sur moi tant d’empire…
Je me confonds, madame, et ne vous puis rien dire.

Le chevalier de Lorraine, auteur de ces dissensions, fut d’abord envoyé par le roi à Pierre-Encise ; le comte de Marsan, de la maison de Lorraine, et le marquis, depuis maréchal, de Villeroi, furent exilés. Enfin on regarda comme la suite coupable de ces démêlés la mort naturelle de cette malheureuse princesse[3].

  1. Il s’agissait des négociations de Madame en Angleterre. (G. A.)
  2. Tragédie de Rotrou, acte IV, scène iv.
  3. Dans un recueil de pièces extraites du portefeuille de M. Duclos, et imprimées en 1781, on trouve qu’un maître d’hôtel de Monsieur, nommé Morel, avait