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CHAPITRE XXVII.

SUITE DES PARTICULARITÉS ET ANECDOTES.


La jeunesse, la beauté de Mlle  de Fontange, un fils qu’elle donna au roi en 1680, le titre de duchesse dont elle fut décorée, écartaient Mme  de Maintenon de la première place, qu’elle n’osait espérer et qu’elle eut depuis ; mais la duchesse de Fontange et son fils moururent en 1681.

La marquise de Montespan n’ayant plus de rivale déclarée, n’en posséda pas plus un cœur fatigué d’elle et de ses murmures. Quand les hommes ne sont plus dans leur jeunesse, ils ont presque tous besoin de la société d’une femme complaisante ; le poids des affaires rend surtout cette consolation nécessaire. La nouvelle favorite, Mme  de Maintenon, qui sentait le pouvoir secret qu’elle acquérait tous les jours, se conduisait avec cet art qui est si naturel aux femmes, et qui ne déplaît pas aux hommes[1]. Elle écrivit un jour à Mme  de Frontenac, sa cousine, en qui elle avait une entière confiance : « Je le renvoie toujours affligé, et jamais désespéré. » Dans ce temps où sa faveur croissait, où Mme  de Montespan touchait à sa chute, ces deux rivales se voyaient tous les jours, tantôt avec une aigreur secrète, tantôt avec une confiance passagère, que la nécessité de se parler et la lassitude de la contrainte mettaient quelquefois dans leurs entretiens[2]. Elles convinrent de faire, chacune de leur côté, des Mémoires de tout ce qui se passait

  1. On envoyait chercher Mme  de Maintenon quand les premières douleurs pour accoucher prenaient à Mme  de Montespan. Elle emportait l’enfant, le cachait sous son écharpe, se cachait elle-même sous un masque, et, prenant un fiacre, revenait ainsi à Paris. Combien de frayeurs n’avait-elle point que cet enfant ne criât ! Ces craintes se sont souvent renouvelées, puisque Mme  de Montespan a eu sept enfants du roi. » (Souvenirs de Mme  de Caylus.)
  2. Les Mémoires donnés sous le nom de Madame de Maintenon rapportent qu’elle dit à Mme  de Montespan, en parlant de ses rêves : « J’ai rêvé que nous étions sur le grand escalier de Versailles ; je montais, vous descendiez ; je m’élevais jusqu’aux nues, vous allâtes à Fontevrault. » Ce conte est renouvelé d’après le fameux duc d’Épernon, qui rencontra le cardinal de Richelieu sur l’escalier du Louvre, l’année 1624. Le cardinal lui demanda s’il n’y avait rien de nouveau : « Non, lui dit le duc, sinon que vous montez, et je descends. » Ce conte est gâté en ajoutant que d’un escalier on s’éleva jusqu’aux nues. Il faut remarquer que dans presque tous les livres d’anecdotes, dans les ana, on attribue presque toujours à ceux qu’on fait parler des choses dites un siècle et même plusieurs siècles auparavant. (Note de Voltaire.)