mort, faute d’avoir été bien traité. Le danger du roi émut toute la France. Les églises furent remplies d’un peuple innombrable, qui demandait la guérison de son roi, les larmes aux yeux. Ce mouvement d’un attendrissement général fut presque semblable à ce que nous avons vu, lorsque son successeur[1] fut en danger de mort à Metz, en 1744. Ces deux époques apprendront à jamais aux rois ce qu’ils doivent à une nation qui sait aimer ainsi.
Dès que Louis XIV ressentit les premières atteintes de ce mal, son premier chirurgien Félix alla dans les hôpitaux chercher des malades qui fussent dans le même péril ; il consulta les meilleurs chirurgiens, il inventa avec eux des instruments qui abrégeaient l’opération, et qui la rendaient moins douloureuse. Le roi la souffrit sans se plaindre. Il fit travailler ses ministres auprès de son lit le jour même ; et, afin que la nouvelle de son danger ne fît aucun changement dans les cours de l’Europe, il donna audience le lendemain aux ambassadeurs. À ce courage d’esprit se joignait la magnanimité avec laquelle il récompensa Félix, il lui donna une terre qui valait alors plus de cinquante mille écus.
Depuis ce temps le roi n’alla plus aux spectacles. La dauphine de Bavière, devenue mélancolique et attaquée d’une maladie de langueur qui la fit enfin mourir en 1690, se refusa à tous les plaisirs, et resta obstinément dans son appartement. Elle aimait les lettres ; elle avait même fait des vers ; mais dans sa mélancolie elle n’aimait plus que la solitude.
Ce fut le couvent de Saint-Cyr qui ranima le goût des choses d’esprit. Mme de Maintenon pria Racine, qui avait renoncé au théâtre pour le jansénisme et pour la cour, de faire une tragédie qui pût être représentée par ses élèves. Elle voulut un sujet tiré de la Bible. Racine composa Esther. Cette pièce, ayant d’abord été jouée dans la maison de Saint-Cyr, le fut ensuite plusieurs fois à Versailles devant le roi, dans l’hiver de 1689. Des prélats, des jésuites, s’empressaient d’obtenir la permission de voir ce singulier spectacle. Il paraît remarquable que cette pièce eut alors un succès universel, et que deux ans après, Athalie, jouée par les mêmes personnes, n’en eut aucun. Ce fut tout le contraire quand on joua ces pièces à Paris, longtemps après la mort de l’auteur, et après le temps des partialités. Athalie, représentée en 1717, fut reçue comme elle devait l’être, avec transport ; et Esther, en 1721, n’inspira que de la froideur, et ne reparut plus. Mais alors il n’y avait plus de courtisans qui reconnussent avec
- ↑ Voyez le chapitre xii du Précis du Siècle de Louis XV.