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SUITE DES ANECDOTES.

qu’il ne croyait pas qu’il y eût de loi fondamentale qui donnât, dans une minorité, un pouvoir sans bornes à l’héritier présomptif du royaume[1]. Cette autorité suprême, dont on peut abuser, est dangereuse ; mais l’autorité partagée l’est encore davantage. Il crut qu’ayant été si bien obéi pendant sa vie, il le serait après sa mort, et ne se souvenait pas qu’on avait cassé le testament de son père[2].

(1er septembre 1715) D’ailleurs personne n’ignore avec quelle grandeur d’âme il vit approcher la mort, disant à Mme de Maintenon : « J’avais cru qu’il était plus difficile de mourir » ; et à ses domestiques : « Pourquoi pleurez-vous ? m’avez-vous cru immortel ? » donnant tranquillement ses ordres sur beaucoup de choses, et même sur sa pompe funèbre. Quiconque a beaucoup de témoins de sa mort meurt toujours avec courage. Louis XIII, dans sa dernière maladie, avait mis en musique le De profundis qu’on devait chanter pour lui. Le courage d’esprit avec lequel Louis XIV vit sa fin fut dépouillé de cette ostentation répandue sur toute sa vie. Ce courage alla jusqu’à avouer ses fautes. Son successeur a toujours conservé écrites au chevet de son lit les paroles remarquables que ce monarque lui dit, en le tenant sur son lit entre ses bras : ces paroles ne sont point telles qu’elles sont rapportées dans toutes les histoires. Les voici fidèlement copiées :

« Vous allez être bientôt roi d’un grand royaume. Ce que je vous recommande plus fortement est de n’oublier jamais les obligations que vous avez à Dieu. Souvenez-vous que vous lui devez tout ce que vous êtes. Tâchez de conserver la paix avec vos voisins. J’ai trop aimé la guerre ; ne m’imitez pas en cela, non plus que dans les trop grandes dépenses que j’ai faites. Prenez conseil en toutes choses, et cherchez à connaître le meilleur pour le suivre toujours. Soulagez vos peuples le plus tôt que vous le pourrez, et faites ce que j’ai eu le malheur de ne pouvoir faire moi-même, etc. »

    Louis XIV voulut faire le duc du Maine lieutenant général du royaume. Il faut avoir des garants authentiques pour avancer une chose aussi extraordinaire et aussi importante. Le duc du Maine eût été au-dessus du duc d’Orléans : c’eût été tout bouleverser ; aussi le fait est-il faux. (Note de Voltaire.)

  1. Cette loi fondamentale n’exista jamais. M. de Voltaire voudrait absolument que le Français fût esclave. (La Beaumelle.)
  2. Le maréchal de Berwick dit, dans ses Mémoires, qu’il tient de la reine d’Angleterre que cette princesse ayant félicité Louis XIV sur la sagesse de son testament : « On a voulu absolument que je le fisse, répondit-il ; mais dès que je serai mort, il n’en sera ni plus ni moins. » (K.)