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SUITE DES ANECDOTES.

de ces choses qui flattent l’amour-propre en excitant l’émulation, et qui laissent un long souvenir.

Un jour, Mme la duchesse de Bourgogne, encore fort jeune, voyant à souper un officier qui était très-laid, plaisanta beaucoup et très-haut sur sa laideur. « Je le trouve, madame, dit le roi encore plus haut, un des plus beaux hommes de mon royaume ; car c’est un des plus braves. »

Un officier général[1], homme un peu brusque, et qui n’avait pas adouci son caractère dans la cour même de Louis XIV, avait perdu un bras dans une action, et se plaignait au roi, qui l’avait pourtant récompensé autant qu’on le peut faire pour un bras cassé : « Je voudrais avoir perdu aussi l’autre, dit-il, et ne plus servir Votre Majesté. — J’en serais bien fâché pour vous et pour moi », lui répondit le roi ; et ce discours fut suivi d’une grâce qu’il lui accorda. Il était si éloigné de dire des choses désagréables, qui sont des traits mortels dans la bouche d’un prince, qu’il ne se permettait pas même les plus innocentes et les plus douces railleries, tandis que des particuliers en font tous les jours de si cruelles et de si funestes.

Il se plaisait et se connaissait à ces choses ingénieuses, aux impromptu, aux chansons agréables ; et quelquefois même il faisait sur-le-champ de petites parodies sur les airs qui étaient en vogue, comme celle-ci :

  Chez mon cadet de frère
  Le chancelier Serrant
  N’est pas trop nécessaire ;
  Et le sage Boifranc
  Est celui qui sait plaire.

Et cette autre, qu’il fit en congédiant un jour le conseil :

Le conseil à ses yeux a beau se présenter,
Sitôt qu’il voit sa chienne il quitte tout pour elle ;
  Rien ne peut l’arrêter
  Quand la chasse l’appelle[2].

Ces bagatelles servent au moins à faire voir que les agréments

  1. Dans les premières éditions du Siècle de Louis XIV, il y avait : « Le comte de Marivault, lieutenant général, homme un peu brutal, et qui n’avait pas, etc. » (B.)
  2. Cette parodie du prologue d’Atys est déjà rapportée dans les Anecdotes publiées en 1748.