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CHAPITRE XXIX.

désiré, en faisant une ville à Versailles près de ce château qui a coûté tant de millions[1], en bâtissant Trianon, Marly, et en faisant embellir tant d’autres édifices, fit élever l’Observatoire, commencé en 1666, dès le temps qu’il établit l’Académie des sciences. Mais le monument le plus glorieux par son utilité, par sa grandeur, et par ses difficultés, fut ce canal du Languedoc qui joint les deux mers, et qui tombe dans le port de Cette, construit pour recevoir ses eaux. Tout ce travail fut commencé dès 1664, et on le continua sans interruption jusqu’en 1681. La fondation des Invalides et la chapelle de ce bâtiment, la plus belle de Paris, l’établissement de Saint-Cyr, le dernier de tant d’ouvrages construits par ce monarque, suffiraient seuls pour faire bénir sa mémoire[2]. Quatre mille soldats et un grand nombre d’officiers, qui trouvent dans l’un de ces grands asiles une consolation dans leur vieillesse, et des secours pour leurs blessures et pour leurs besoins, deux cent cinquante filles nobles qui reçoivent dans l’autre une éducation digne d’elles, sont autant de voix qui célèbrent Louis XIV. L’établissement de Saint-Cyr sera surpassé par celui que Louis XV vient de former pour élever cinq cents gentilshommes[3] ; mais, loin de faire oublier Saint-Cyr, il en fait souvenir : c’est l’art de faire du bien qui s’est perfectionné.

Louis XIV voulut en même temps faire des choses plus grandes et d’une utilité plus générale, mais d’une exécution plus difficile : c’était de réformer les lois. Il y fit travailler le chancelier Séguier, les Lamoignon, les Talon, les Bignon, et surtout le conseiller d’État Pussort. Il assistait quelquefois à leurs assemblées. L’année 1667 fut à la fois l’époque de ses premières lois et de ses conquêtes. L’ordonnance civile parut d’abord, ensuite le code des eaux et forêts, puis des statuts pour toutes les manufactures ;

  1. C’est ainsi que Voltaire s’exprimait en 1751. En 1756 il appelait Versailles un abîme de dépenses (tome XIII, page 13). On a vu qu’il portait à plus de cinq cents millions, monnaie du temps, la dépense faite par Louis XIV à Versailles. Mirabeau, dans la neuvième de ses Lettres à mes commettants, avait dit, en 1789 : « Le maréchal de Belle-Isle s’arrêta d’effroi quand il eut compté jusqu’à douze cents millions de dépenses faites à Versailles, et il n’osa sonder jusqu’au fond cet abîme. » Volney, dans ses Leçons d’histoire, faites en 1795 à l’École normale, porte les dépenses de Louis XIV pour Versailles à quatorze cents millions, à seize francs le marc, dit-il ; ce qui fait plus de quatre milliards cinq cents millions, à cinquante-deux francs le marc. Les calculs de Mirabeau et de Volney, et celui de Voltaire même, sont exagérés.
  2. L’abbé de Saint-Pierre critique cet établissement, que presque toutes les nations ont imité. (Note de Voltaire.)
  3. L’École militaire ; voyez l’Éloge funèbre de Louis XV ; et, dans la Correspondance, la lettre à Pâris-Duverney, du 26 juillet 1756.