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CHAPITRE XXIX.

Il n’y avait point eu encore de maréchaux de France dans le corps de la marine ; et c’est une preuve combien cette partie essentielle des forces de la France avait été négligée. Jean d’Estrées fut le premier maréchal, en 1681. Il paraît qu’une des grandes attentions de Louis XIV était d’animer, dans tous les genres, cette émulation sans laquelle tout languit.

Dans toutes les batailles navales que les flottes françaises livrèrent, l’avantage leur demeura toujours, jusqu’à la journée de la Hogue, en 1692, lorsque le comte de Tourvîlle, suivant les ordres de la cour, attaqua, avec quarante-quatre voiles, une flotte de quatre-vingt-dix vaisseaux anglais et hollandais : il fallut céder au nombre ; on perdit quatorze vaisseaux du premier rang, qui échouèrent, et qu’on brûla pour ne les pas laisser au pouvoir des ennemis. Malgré cet échec, les forces maritimes se soutinrent toujours ; mais elles déclinèrent dans la guerre de la succession. Le cardinal de Fleury les négligea depuis[1], dans le loisir d’une heureuse paix, seul temps propice pour les rétablir.

Ces forces navales servaient à protéger le commerce. Les colonies de la Martinique, de Saint-Domingue, du Canada, auparavant languissantes, fleurirent, mais avec un avantage qu’on n’avait point espéré jusqu’alors : car, depuis 1635 jusqu’à 1665, ces établissements avaient été à charge.

En 1664, le roi envoie une colonie à Cayenne ; bientôt après une autre à Madagascar. Il tente toutes les voies de réparer le tort et le malheur qu’avait eu si longtemps la France de négliger la mer, tandis que ses voisins s’étaient formé des empires aux extrémités du monde.

On voit, par ce seul coup d’œil, quels changements Louis XIV fit dans l’État ; changements utiles, puisqu’ils subsistent. Ses ministres le secondèrent à l’envi. On leur doit sans doute tout le détail, toute l’exécution ; mais on lui doit l’arrangement général. Il est certain que les magistrats n’eussent pas réformé les lois, que l’ordre n’eût pas été remis dans les finances, la discipline introduite dans les armées, la police générale dans le royaume ; qu’on n’eût point eu de flottes, que les arts n’eussent point été encouragés, tout cela de concert, et en même temps, et avec persévérance, et sous différents ministres, s’il ne se fût trouvé un maître qui eût en général toutes ces grandes vues, avec une volonté ferme de les remplir.

Il ne sépara point sa propre gloire de l’avantage de la France,

  1. Pour plaire à l’Angleterre. (G. A.)