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CHAPITRE XXX.

les abus et les pillages, qui étaient énormes. La recette fut simplifiée autant qu’il était possible, et, par une économie qui tient du prodige, il augmenta le trésor du roi en diminuant les tailles. On voit, par l’édit mémorable de 1664, qu’il y avait tous les ans un million de ce temps-là destiné à l’encouragement des manufactures et du commerce maritime. Il négligea si peu les campagnes, abandonnées jusqu’à lui à la rapacité des traitants, que des négociants anglais s’étant adressés à M. Colbert de Croissy, son frère, ambassadeur à Londres, pour fournir en France des bestiaux d’Irlande et des salaisons pour les colonies, en 1667, le contrôleur général répondit que depuis quatre ans on en avait à revendre aux étrangers.

Pour parvenir à cette heureuse administration, il avait fallu une chambre de justice, et de grandes réformes. Il fut obligé de retrancher huit millions et plus de rentes sur la ville, acquises à vil prix, que l’on remboursa sur le pied de l’achat. Ces divers changements exigèrent des édits. Le parlement était en possession de les vérifier depuis François Ier. Il fut proposé de les enregistrer seulement à la chambre des comptes ; mais l’usage ancien prévalut. Le roi alla lui-même au parlement faire vérifier ses édits en 1664[1].

Il se souvenait toujours de la Fronde, de l’arrêt de proscription contre un cardinal[2], son premier ministre, des autres arrêts par lesquels on avait saisi les deniers royaux, pillé les meubles et l’argent des citoyens attachés à la couronne[3]. Tous ces excès ayant commencé par des remontrances sur des édits concernant les revenus de l’État, il ordonna, en 1667, que le parlement ne fît jamais de représentation que dans la huitaine, après avoir enregistré avec obéissance. Cet édit fut encore renouvelé en 1673. Aussi, dans tout le cours de son administration, il n’essuya aucune remontrance d’aucune cour de judicature, excepté dans la fatale année de 1709, où le parlement de Paris représenta inutilement

  1. Ce fut vers ce temps que Colbert fit achever le cadastre dans quelques provinces. On ignorait tellement la méthode de faire ces opérations avec exactitude que l’impôt d’un très-grand nombre de terres en surpassait le produit. Les propriétaires étaient forcés de les abandonner au fisc. Colbert fit rendre un édit qui défendit aux propriétaires d’abandonner une terre, à moins qu’ils ne renonçassent en même temps à toutes leurs autres possessions. Des villages entiers laissèrent leurs terres en friche, et l’on fut obligé de leur accorder des gratifications extraordinaires pour les engager à reprendre la culture. M. de Voltaire ignorait sûrement ces détails, puisqu’il parle ici de la science et du génie de Colbert. (K.)
  2. Voyez Histoire du Parlement, chapitre lvi, et ci-dessus, pages 198 et 204.
  3. Voyez page 190.