Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/553

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au même taux qu’elle était il y a deux cents ans : on donne cinq sous numéraires aux fantassins, comme on les donnait du temps de Henri IV[1]. Aucun de ce grand nombre d’hommes ignorants, qui vendent leur vie a si bon marché, ne sait qu’attendu le surhaussement des espèces et la cherté des denrées, il reçoit environ deux tiers moins que les soldats de Henri IV. S’il le savait, s’il demandait une paye de deux tiers plus haute, il faudrait bien la lui donner : il arriverait alors que chaque puissance de l’Europe entretiendrait les deux tiers moins de troupes ; les forces se balanceraient de même ; la culture de la terre et les manufactures en profiteraient[2].

Il faut encore observer que les gains du commerce ayant augmenté, et les appointements de toutes les grandes charges ayant diminué de valeur réelle, il s’est trouvé moins d’opulence qu’autrefois chez les grands, et plus dans le moyen ordre ; et cela même a mis moins de distance entre les hommes. Il n’y avait autrefois de ressource pour les petits que de servir les grands : aujourd’hui l’industrie a ouvert mille chemins qu’on ne connaissait pas il y a cent ans. Enfin, de quelque manière que les finances de l’État soient administrées, la France possède dans le travail d’environ vingt millions d’habitants un trésor inestimable.



  1. Ceci n’est pas rigoureusement vrai ; les appointements des places qui donnent du crédit, ou qui sont nécessaires a l’administration, ont augmenté. Quant à la paye des soldats, quoiqu’elle paraisse la même, a l’exception d’une augmentation d’un sou, établie en France dans ces dernières années, il y a en a eu des augmentations réelles par des fournitures faites, en nature ou gratuitement, ou a un prix au-dessous de leur valeur. La vie du soldat est non-seulement plus assurée, mais plus douce que celle du cultivateur, et même que celle de beaucoup d’artisans. L’usage de les faire coucher deux dans un lit étroit, et de ne leur payer l’année que sur le pied de trois cent soixante jours, sont peut-être les seules choses dont ils aient réellement à se plaindre. Mais les paysans, les artisans, n’ont pas toujours chacun un lit, et ils ne gagnent rien les jours de l’été. (K.)
  2. Cette conclusion a reçu du temps un complet démenti.