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DES BEAUX-ARTS.

assez jeune, devant le roi et la reine mère, en 1662, longtemps avant que le P. Bourdaloue fût connu. Ses discours, soutenus d’une action noble et touchante, les premiers qu’on eût encore entendus à la cour qui approchassent du sublime, eurent un si grand succès que le roi fit écrire, en son nom, à son père, intendant de Soissons[1] pour le féliciter d’avoir un tel fils.

Cependant, quand Bourdaloue parut, Bossuet ne passa plus pour le premier prédicateur. Il s’était déjà donné aux oraisons funèbres, genre d’éloquence qui demande de l’imagination et une grandeur majestueuse qui tient un peu à la poésie, dont il faut toujours emprunter quelque chose, quoique avec discrétion, quand on tend au sublime. L’oraison funèbre de la reine mère, qu’il prononça en 1667, lui valut l’évêché de Condom[2] : mais ce discours n’était pas encore digne de lui, et il ne fut pas imprimé, non plus que ses sermons. L’éloge funèbre de la reine d’Angleterre, veuve de Charles Ier, qu’il fit en 1669, parut presque en tout un chef-d’œuvre. Les sujets de ces pièces d’éloquence sont heureux à proportion des malheurs que les morts ont éprouvés. C’est en quelque façon comme dans les tragédies, où les grandes infortunes des principaux personnages sont ce qui intéresse davantage. L’éloge funèbre de Madame, enlevée à la fleur de son âge, et morte entre ses bras, eut le plus grand et le plus rare des succès, celui de faire verser des larmes à la cour. Il fut obligé de s’arrêter après ces paroles : « Ô nuit désastreuse ! nuit effroyable, où retentit tout à coup, comme un éclat de tonnerre, cette étonnante nouvelle : Madame se meurt, Madame est morte, etc. » L’auditoire éclata en sanglots ; et la voix de l’orateur fut interrompue par ses soupirs et par ses pleurs.

Les Français furent les seuls qui réussirent dans ce genre d’éloquence. Le même homme, quelque temps après, en inventa un nouveau, qui ne pouvait guère avoir de succès qu’entre ses mains. Il appliqua l’art oratoire à l’histoire même, qui semble l’exclure. Son Discours sur l’histoire universelle, composé pour l’éducation du dauphin, n’a eu ni modèle, ni imitateurs. Si le système

    une petite merveille lettrée ; il lui prêta de l’argent plus tard ; mais rien de plus innocent, rien de plus public même que leurs relations. (G. A.)

  1. Bossuet prêcha l’avent de 1661. Son père vécut et mourut conseiller au parlement de Metz. Ce fut un frère de l’évêque de Meaux qui, plus tard, fut intendant de Soissons. (B.)
  2. L’oraison funèbre d’Anne d’Autriche avait été prononcée le 20 janvier 1667 ; ce ne fut que près de trois ans après, le 13 septembre 1669, que Bossuet fut nommé à l’évêché de Condom.