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DU SIÈCLE DE LOUIS XIV.


Daniel (Gabriel), jésuite, historiographe de France, né à Rouen en 1649, a rectifié les fautes de Mézerai sur la première et seconde race. On lui a reproché que sa diction n’est pas toujours pure, que son style est trop faible, qu’il n’intéresse pas, qu’il n’est pas peintre, qu’il n’a pas assez fait connaître les usages, les mœurs, les lois ; que son histoire est un long détail d’opérations de guerre dans lesquelles un historien de son état se trompe presque toujours. Mort en 1728.

Le comte de Boulainvilliers dit, dans ses Mémoires sur le gouvernement de France, qu’on peut reprocher à Daniel dix mille erreurs, c’est beaucoup ; mais heureusement la plupart de ces erreurs sont aussi indifférentes que les vérités qu’il aurait mises à la place : car qu’importe que ce soit l’aile gauche ou l’aile droite qui ait plié à la bataille de Montlhéry ? Qu’importe par quel endroit Louis le Gros entra dans les masures du Puiset[1] ? Un citoyen veut savoir par quels degrés le gouvernement a changé de forme, quels ont été les droits et les usurpations des différents corps, ce qu’ont fait les états généraux, quel a été l’esprit de la nation. Le grand défaut de Daniel est de n’avoir pas été instruit des droits de la nation, ou de les avoir dissimulés. Il a omis entièrement les célèbres états de 1355. Il n’a parlé des papes, et surtout du grand et bon roi Henri IV, qu’en jésuite ; nulle connaissance des finances, nulle de l’intérieur du royaume, ni des mœurs.

Il prétend dans sa préface, et[2] le président Hénault a dit après lui, que les premiers temps de l’histoire de France sont plus intéressants que ceux de Rome, parce que Clovis et Dagobert avaient plus de terrain que Romulus et Tarquin. Il ne s’est pas aperçu que les faibles commencements de tout ce qui est grand intéressent toujours les hommes ; on aime à voir la petite origine d’un peuple dont la France n’était qu’une province, et qui étendit son empire jusqu’à l’Elbe, l’Euphrate et le Niger. Il faut avouer que notre histoire et celle des autres peuples, depuis le Ve siècle de l’ère vulgaire jusqu’au XVe n’est qu’un chaos d’aventures barbares, sous des noms barbares.

D’Argonne (Noël), né à Paris en 1634, chartreux à Gaillon. C’est le seul chartreux qui ait cultivé la littérature. Ses Mélanges, sous le nom de Vigneul de Marville, sont remplis d’anecdotes curieuses et hasardées. Mort en 1704.

  1. Le Puiset est un bourg entre Orléans et Chartres.
  2. Les éditions données du vivant de Voltaire portent : et on a dit après lui, etc. (B.)