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AVERTISSEMENT.

lettres qui s’intéresse à la vérité et à l’honneur de ce beau siècle doit m’honorer de ses lumières ; mais quand on écrira contre moi en faisant imprimer mon propre ouvrage pour ruiner mon libraire, un tel procédé aura-t-il des approbateurs ? »

La Beaumelle ne se laisse pas désarmer. Il met son projet à exécution, et publie le Siècle de Louis XIV avec des remarques. C’est un des exemples de piraterie littéraire les plus audacieux que l’on puisse citer. On verra les suites de cette insolente contrefaçon dans l’Avertissement de Beuchot en tête du Supplément au Siècle de Louis XIV.

Le Siècle de Louis XIV est resté dans l’estime de la postérité à la hauteur où l’estime des contemporains l’avait placé tout d’abord : c’est une œuvre consacrée, un monument indestructible, « On ne montrera pas mieux, dit Villemain, le génie de cette société puissante et polie dont Voltaire avait vu la dernière splendeur et dont il parlait la langue. C’est par là que son récit est original et ne peut plus être surpassé. »

M. D. Nisard, dans son Histoire de la littérature française apprécie ainsi l’ouvrage qui est, à ses yeux, le principal titre de Voltaire historien. « De toutes les inspirations de Voltaire, dit-il, la plus heureuse est le Siècle de Louis XIV. Il en eut la pensée dans le temps où il aima la gloire avec le plus de candeur et où elle lui apparaissait sous la forme de ces générations de jeunes Français apprenant à admirer dans le Siècle de Louis XIV toutes les grandeurs de leur pays. L’idée de placer la France du xviie siècle à la tête de l’Europe intellectuelle, de faire accepter de tout le monde l’appellation du siècle de Louis XIV, de présenter à l’esprit humain, comme sa plus parfaite image, l’esprit français personnifié dans nos écrivains, nos savants et nos artistes, cette idée-là ne vint à Voltaire ni d’un besoin public ni d’une invitation de la mode. Ce fut son œuvre personnelle… La mémoire de Louis XIV avait toute sorte d’adversaires…

« On a critiqué, dans ces dernières années, et on critique encore le plan, ou plutôt ce qu’on appelle le manque de plan du Siècle de Louis XIV. Le premier reproche en est venu de Gibbon, qui contentait peut-être à son insu ses préjugés d’Anglais et sa rivalité d’historien. Une nouvelle théorie de l’histoire a mis sa critique en crédit. Nous sommes devenus très-difficiles sur les devoirs de l’historien. La pratique du gouvernement représentatif où tous les ressorts d’une grande société sont mis au jour nous a persuadés que nous sommes très-bons juges de la politique, que nous n’ignorons pas la guerre, que nous nous entendons en finances, que l’administration n’a plus de secrets pour nous, que rien ne nous échappe des rapports de la fortune publique avec l’esprit général du gouvernement. Nous nous flattons de sentir l’unité de l’État dans la multiplicité des fonctions sociales. Tout ce qu’on nous explique, nous croyons le comprendre, et nous ne sommes pas loin de nous imaginer que les seules choses dont on puisse bien juger sans étude, c’est la société et l’État. Un historien qui ne nous montre pas le tout comme à des gens qui s’y connaissent risque fort de ne pas nous faire agréer ce qu’il nous montre…

« Il y a un certain goût de la perfection qui nous rend injustes… J’ai bien peur qu’il n’en soit ainsi pour le Siècle de Louis XIV. Quand on a ré-