Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome17.djvu/114

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
94
AIR.

et errantes dans cette atmosphère, pourraient-elles avoir le moindre effet, le moindre usage ?

4° Vous entendez une musique dans un salon éclairé de cent bougies ; il n’y a pas un point de cet espace qui ne soit rempli de ces atomes de cire, de lumière et de fumée légère. Brûlez-y des parfums, il n’y aura pas encore un point de cet espace où les atomes de ces parfums ne pénètrent. Les exhalaisons continuelles du corps des spectateurs et des musiciens, et du parquet, et des fenêtres, des plafonds, occupent encore ce salon : que restera-t-il pour votre prétendu élément de l’air ?

5° Comment cet air prétendu, dispersé dans ce salon, pourra-t-il vous faire entendre et distinguer à la fois les différents sons ? faudra-t-il que la tierce, la quinte, l’octave, etc., aillent frapper des parties d’air qui soient elles-mêmes à la tierce, à la quinte, à l’octave ? chaque note exprimée par les voix et par les instruments trouve-t-elle des parties d’air notées qui la renvoient à votre oreille ? C’est la seule manière d’expliquer la mécanique de l’ouïe par le moyen de l’air. Mais quelle supposition ! De bonne foi, doit-on croire que l’air contienne une infinité d’ut, ré, mi, fa, sol, la, si, ut, et nous les envoie sans se tromper ? En ce cas, ne faudrait-il pas que chaque particule d’air, frappée à la fois par tous les sons, ne fût propre qu’à répéter un seul son, et à le renvoyer à l’oreille ? mais où renverrait-elle tous les autres qui l’auraient également frappée ?

Il n’y a donc pas moyen d’attribuer à l’air la mécanique qui opère les sons ; il faut donc chercher quelque autre cause, et on peut parier qu’on ne la trouvera jamais.

6° À quoi fut réduit Newton ? Il supposa, à la fin de son Optique, que « les particules d’une substance dense, compacte et fixe, adhérentes par attraction, raréfiées difficilement par une extrême chaleur, se transforment en un air élastique ».

De telles hypothèses, qu’il semblait se permettre pour se délasser, ne valaient pas ses calculs et ses expériences. Comment des substances dures se changent-elles en un élément ? comment du fer est-il changé en air ? Avouons notre ignorance sur les principes des choses.

7° De toutes les preuves qu’on apporte en faveur de l’air, la plus spécieuse, c’est que si on vous l’ôte vous mourez ; mais cette preuve n’est autre chose qu’une supposition de ce qui est en question. Vous dites qu’on meurt quand on est privé d’air, et nous disons qu’on meurt par la privation des vapeurs salutaires de la terre et des eaux. Vous calculez la pesanteur de l’air, et nous, la