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ALCORAN, OU LE KORAN.

n’ayant rien à perdre, combat à la fois par esprit de rapine et de religion.

Il est vrai qu’il n’y avait pas beaucoup de finesse dans leurs procédés. Le contrat du premier mariage de Mahomet porte qu’attendu que Cadisha est amoureuse de lui, et lui pareillement amoureux d’elle, on a trouvé bon de les conjoindre. Mais y a-t-il tant de simplicité à lui avoir composé une généalogie dans laquelle on le fait descendre d’Adam en droite ligne, comme on en a fait descendre depuis quelques maisons d’Espagne et d’Écosse ? L’Arabie avait son Moréri et son Mercure galant.

Le grand prophète essuya la disgrâce commune à tant de maris ; il n’y a personne après cela qui puisse se plaindre. On connaît le nom de celui qui eut les faveurs de sa seconde femme, la belle Aishca : il s’appelait Assan. Mahomet se comporta avec plus de hauteur que César, qui répudia sa femme, disant qu’il ne fallait pas que la femme de César fût soupçonnée. Le prophète ne voulut pas même soupçonner la sienne ; il fit descendre du ciel un chapitre du Koran pour affirmer que sa femme était fidèle. Ce chapitre était écrit de toute éternité, aussi bien que tous les autres.

On l’admire pour s’être fait, de marchand de chameaux, pontife, législateur, et monarque ; pour avoir soumis l’Arabie, qui ne l’avait jamais été avant lui, pour avoir donné les premières secousses à l’empire romain d’Orient et à celui des Perses. Je l’admire encore pour avoir entretenu la paix dans sa maison parmi ses femmes. Il a changé la face d’une partie de l’Europe, de la moitié de l’Asie, de presque toute l’Afrique, et il s’en est bien peu fallu que sa religion n’ait subjugué l’univers.

À quoi tiennent les révolutions ! un coup de pierre un peu plus fort que celui qu’il reçut dans son premier combat donnait une autre destinée au monde.

Son gendre Ali prétendit que quand il fallut inhumer le prophète, on le trouva dans un état qui n’est pas trop ordinaire aux morts, et que sa veuve Aishca s’écria : « Si j’avais su que Dieu eût fait cette grâce au défunt, j’y serais accourue à l’instant. » On pouvait dire de lui : Decet imperatorem stantem mori.

Jamais la vie d’un homme ne fut écrite dans un plus grand détail que la sienne. Les moindres particularités en étaient sacrées ; on sait le compte et le nom de tout ce qui lui appartenait : neuf épées, trois lances, trois arcs, sept cuirasses, trois boucliers, douze femmes, un coq blanc, sept chevaux, deux mules, quatre chameaux, sans compter la jument Borac sur laquelle il