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ALEXANDRE.

qu’ayant toujours joint la magnanimité au plus grand courage, ayant respecté la femme et les filles de Darius ses prisonnières, il ne méritait en aucune façon ni d’être interdit ni d’être pendu, et qu’en tous cas il appelait de la sentence du sieur de La Reynie au tribunal du monde entier[1].

Rollin prétend qu’Alexandre ne prit la fameuse ville de Tyr qu’en faveur des Juifs, qui n’aimaient pas les Tyriens. Il est pourtant vraisemblable qu’Alexandre eut encore d’autres raisons, et qu’il était d’un très sage capitaine de ne point laisser Tyr maîtresse de la mer lorsqu’il allait attaquer l’Égypte.

Alexandre aimait et respectait beaucoup Jérusalem sans doute ; mais il semble qu’il ne fallait pas dire que « les Juifs donnèrent un rare exemple de fidélité, et digne de l’unique peuple qui connût pour lors le vrai Dieu, en refusant des vivres à Alexandre, parce qu’ils avaient prêté serment de fidélité à Darius ». On sait assez que les Juifs s’étaient toujours révoltés contre leurs souverains dans toutes les occasions : car un Juif ne devait servir sous aucun roi profane.

S’ils refusèrent imprudemment des contributions au vainqueur, ce n’était pas pour se montrer esclaves fidèles de Darius ; il leur était expressément ordonné par leur loi d’avoir en horreur toutes les nations idolâtres ; leurs livres ne sont remplis que d’exécration contre elles, et de tentatives réitérées de secouer le joug. S’ils refusèrent d’abord les contributions, c’est que les Samaritains leurs rivaux les avaient payées sans difficulté, et qu’ils crurent que Darius, quoique vaincu, était encore assez puissant pour soutenir Jérusalem contre Samarie.

Il est très faux que les Juifs fussent alors le seul peuple qui connût le vrai Dieu, comme le dit Rollin. Les Samaritains adoraient le même Dieu, mais dans un autre temple ; ils avaient le même Pentateuque que les Juifs, et même en caractères hébraïques, c’est-à-dire tyriens, que les Juifs avaient perdus. Le schisme entre Samarie et Jérusalem était en petit ce que le schisme entre les Grecs et les Latins est en grand. La haine était égale des deux côtés, ayant le même fond de religion.

Alexandre, après s’être emparé de Tyr par le moyen de cette fameuse digue qui fait encore l’admiration de tous les guerriers,

  1. Voyez Pyrrhonisme de l’Histoire, chapitre IX (dans les Mélanges, année 1768). — Les trois vers de la satire XI de Boileau, cités plus haut, se rapportent à Jules César. (B.) — Assurément, si Voltaire se fût rappelé cela il n’eût pas cité ce passage pour le blâmer : car le philosophe détestait César autant qu’il estimait Alexandre. (G. A.)