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ALEXANDRE.

mêmes annales disent qu’Alexandre entra chez eux par la province qui est aujourd’hui le Candahar, et il est probable qu’il y eut toujours quelques forteresses sur cette frontière.

Ensuite Alexandre descendit le fleuve Zombodipo, que les Grecs appelèrent Sind. On ne trouve pas dans l’histoire d’Alexandre un seul nom indien. Les Grecs n’ont jamais appelé de leur propre nom une seule ville, un seul prince asiatique. Ils en ont usé de même avec les Égyptiens. Ils auraient cru déshonorer la langue grecque s’ils l’avaient assujettie à une prononciation qui leur semblait barbare, et s’ils n’avaient pas nommé Memphis la ville de Moph.

M. Holwell dit que les Indiens n’ont jamais connu ni de Porus ni de Taxile ; en effet ce ne sont pas là des noms indiens. Cependant, si nous en croyons nos missionnaires, il y a encore des seigneurs patanes qui prétendent descendre de Porus. Il se peut que ces missionnaires les aient flattés de cette origine, et que ces seigneurs l’aient adoptée. Il n’y a point de pays en Europe où la bassesse n’ait inventé, et la vanité n’ait reçu des généalogies plus chimériques.

Si Flavien Josèphe a raconté une fable ridicule concernant Alexandre et un pontife juif, Plutarque, qui écrivit longtemps après Josèphe, paraît ne pas avoir épargné les fables sur ce héros. Il a renchéri encore sur Quinte-Curce ; l’un et l’autre prétendent qu’Alexandre, en marchant vers l’Inde, voulut se faire adorer, non seulement par les Perses, mais aussi par les Grecs. Il ne s’agit que de savoir ce qu’Alexandre, les Perses, les Grecs, Quinte-Gurce, Plutarque, entendaient par adorer.

Ne perdons jamais de vue la grande règle de définir les termes.

Si vous entendez par adorer invoquer un homme comme une divinité, lui offrir de l’encens et des sacrifices, lui élever des autels et des temples, il est clair qu’Alexandre ne demanda rien de tout cela. S’il voulait qu’étant le vainqueur et le maître des Perses, on le saluât à la persane, qu’on se prosternât devant lui dans certaines occasions, qu’on le traitât enfin comme un roi de Perse tel qu’il l’était, il n’y a rien là que de très raisonnable et de très commun.

Les membres des parlements de France parlent à genoux au roi dans leurs lits de justice ; le tiers état parle à genoux dans les états généraux. On sert à genoux un verre de vin au roi d’Angleterre. Plusieurs rois de l’Europe sont servis à genoux à leur sacre. On ne parle qu’à genoux au Grand Mogol, à l’empereur de la