Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome17.djvu/147

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
127
AMAZONES.


AMAZONES[1].


On a vu souvent des femmes vigoureuses et hardies combattre comme les hommes ; l’histoire en fait mention, car sans compter une Sémiramis, une Tomyris, une Penthésilée, qui sont peut-être fabuleuses, il est certain qu’il y avait beaucoup de femmes dans les armées des premiers califes.

C’était surtout dans la tribu des Homérites une espèce de loi dictée par l’amour et par le courage que les épouses secourussent et vengeassent leurs maris, et les mères leurs enfants, dans les batailles.

Lorsque le célèbre capitaine Dérar combattait en Syrie contre les généraux de l’empereur Héraclius, du temps du calife Abubéker, successeur de Mahomet, Pierre, qui commandait dans Damas, avait pris dans ses courses plusieurs musulmanes avec quelque butin ; il les conduisait à Damas : parmi ces captives était la sœur de Dérar lui-même. L’histoire arabe d’Alvakedi, traduite par Ockley, dit qu’elle était parfaitement belle, et que Pierre en devint épris ; il la ménageait dans la route, et épargnait de trop longues traites à ses prisonnières. Elles campaient dans une vaste plaine sous des tentes gardées par des troupes un peu éloignées. Caulah (c’était le nom de cette sœur de Dérar) propose à une de ses compagnes, nommée Oserra, de se soustraire à la captivité ; elle lui persuade de mourir plutôt que d’être les victimes de la lubricité des chrétiens ; le même enthousiasme musulman saisit toutes ces femmes : elles s’arment des piquets ferrés de leurs tentes, de leurs couteaux, espèce de poignards qu’elles portent à la ceinture, et forment un cercle, comme les vaches se serrent en rond les unes contre les autres, et présentent leurs cornes aux loups qui les attaquent. Pierre ne fit d’abord qu’en rire ; il avance vers ces femmes : il est reçu à grands coups de bâtons ferrés ; il balance longtemps à user de la force ; enfin il s’y résout, et les sabres étaient déjà tirés, lorsque Dérar arrive, met les Grecs en fuite, délivre sa sœur et toutes les captives.

Rien ne ressemble plus à ces temps qu’on nomme héroïques, chantés par Homère : ce sont les mêmes combats singuliers à la

  1. Questions sur l’Encyclopédie, première partie, 1770. (B.)