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ÂME.

tie : après cela nous avons été tout étonnés d’être obligés d’avouer que la matière gravite.

« Quand nous avons voulu pousser plus loin nos recherches, nous avons été forcés de reconnaître des êtres qui ressemblent à la matière en quelque chose, et qui n’ont pas cependant les autres attributs dont la matière est douée. Le feu élémentaire, par exemple, agit sur nos sens comme les autres corps ; mais il ne tend point à un centre comme eux : il s’échappe, au contraire, du centre en lignes droites de tous côtés. Il ne semble pas obéir aux lois de l’attraction, de la gravitation, comme les autres corps. L’optique a des mystères dont on ne pourrait guère rendre raison qu’en osant supposer que les traits de lumière se pénètrent les uns les autres. Il y a certainement quelque chose dans la lumière qui la distingue de la matière connue : il semble que la lumière soit un être mitoyen entre les corps et d’autres espèces d’êtres que nous ignorons. Il est très vraisemblable que ces autres espèces sont elles-mêmes un milieu qui conduit à d’autres créatures, et qu’il y a ainsi une chaîne de substances qui s’élèvent à l’infini.

Usque adeo quod tangit idem est, tamen ultima distant[1] !

« Cette idée nous paraît digne de la grandeur de Dieu, si quelque chose en est digne. Parmi ces substances, il a pu sans doute en choisir une qu’il a logée dans nos corps, et qu’on appelle âme humaine ; les livres saints que nous avons lus nous apprennent que cette âme est immortelle. La raison est d’accord avec la révélation : car comment une substance quelconque périrait-elle ? tout mode se détruit, l’être reste. Nous ne pouvons concevoir la création d’une substance, nous ne pouvons concevoir son anéantissement ; mais nous n’osons affirmer que le maître absolu de tous les êtres ne puisse donner aussi des sentiments et des perceptions à l’être qu’on appelle matière. Vous êtes bien sûr que l’essence de votre âme est de penser, et nous n’en sommes pas si sûrs : car lorsque nous examinons un fœtus, nous avons de la peine à croire que son âme ait eu beaucoup d’idées dans sa coiffe ; et nous doutons fort que dans un sommeil plein et profond, dans une léthargie complète, on ait jamais fait des méditations. Ainsi il nous paraît que la pensée pourrait bien être, non pas l’essence de l’être pensant, mais un présent que le Créateur a fait à ces êtres que nous nommons pensants ; et tout cela nous a fait naître le soupçon que,

  1. Ovide, Métam., VI, 67.