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AMOUR SOCRATIQUE.

qui lui donnaient quelques liards du pays. « Quel renoncement à soi-même ! disait un des spectateurs. — Renoncement à moi-même ! reprit le fakir ; apprenez que je ne me fais fesser dans ce monde que pour vous le rendre dans l’autre, quand vous serez chevaux et moi cavalier. »

Ceux qui ont dit que l’amour de nous-mêmes est la base de tous nos sentiments et de toutes nos actions ont donc eu grande raison dans l’Inde, en Espagne, et dans toute la terre habitable : et comme on n’écrit point pour prouver aux hommes qu’ils ont un visage, il n’est pas besoin de leur prouver qu’ils ont de l’amour-propre. Cet amour-propre est l’instrument de notre conservation ; il ressemble à l’instrument de la perpétuité de l’espèce : il est nécessaire, il nous est cher, il nous fait plaisir, et il faut le cacher.

AMOUR SOCRATIQUE[1].


Si l’amour qu’on a nommé socratique et platonique n’était qu’un sentiment honnête, il y faut applaudir ; si c’était une débauche, il faut en rougir pour la Grèce.

[2] Comment s’est-il pu faire qu’un vice destructeur du genre humain s’il était général, qu’un attentat infâme contre la nature, soit pourtant si naturel ? Il paraît être le dernier degré de la corruption réfléchie ; et cependant il est le partage ordinaire de ceux qui n’ont pas encore eu le temps d’être corrompus. Il est entré dans des cœurs tout neufs, qui n’ont connu encore ni l’ambition, ni la fraude, ni la soif des richesses. C’est la jeunesse aveugle qui, par un instinct mal démêlé, se précipite dans ce désordre au sortir de l’enfance, ainsi que dans l’onanisme[3].

Le penchant des deux sexes l’un pour l’autre se déclare de bonne heure ; mais quoi qu’on ait dit des Africaines et des femmes de l’Asie méridionale, ce penchant est généralement beaucoup plus fort dans l’homme que dans la femme ; c’est une loi que la nature a établie pour tous les animaux ; c’est toujours le mâle qui attaque la femelle.

  1. Voyez dans les Mélanges, année 1777, l’article xix (de la Sodomie) du Prix de la justice et de l’humanité.
  2. Dans l’édition de 1764 du Dictionnaire philosophique, c’était ici que commençait l’article. Le premier aliéna, et trois des notes (la première, la dernière, et celle qui contient la citation d’Horace) sont de 1770 dans les Questions sur l’Encyclopédie, première partie. (B.)
  3. Voyez les articles Onan, Onanisme. (Note de Voltaire.)