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AMPLIFICATION.

Si la longue description du règne du sommeil dans toute la nature ne faisait pas un contraste admirable avec la cruelle inquiétude de Didon, ce morceau ne serait qu’une amplification puérile ; c’est le mot ut non infelix animi Phœnissa, qui en fait le charme.

La belle ode de Sapho, qui peint tous les symptômes de l’amour, et qui a été traduite heureusement dans toutes les langues cultivées, ne serait pas sans doute si touchante si Sapho avait parlé d’une autre que d’elle-même : cette ode pourrait être alors regardée comme une amplification.

La description de la tempête au premier livre de l’Énèide n’est point une amplification : c’est une image vraie de tout ce qui arrive dans une tempête ; il n’y a aucune idée répétée, et la répétition est le vice de tout ce qui n’est qu’amplification.

Le plus beau rôle qu’on ait jamais mis sur le théâtre dans aucune langue est celui de Phèdre. Presque tout ce qu’elle dit serait une amplification fatigante si c’était une autre qui parlât de la passion de Phèdre. (Acte 1er scène III.)


Athènes me montra mon superbe ennemi.
Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue.
Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue.
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ;
Je sentis tout mon corps et transir et brûler ;
Je reconnus Vénus et ses feux redoutables,
D’un sang qu’elle poursuit tourments inévitables.


Il est bien clair que puisque Athènes lui montra son superbe ennemi Hippolyte, elle vit Hippolyte. Si elle rougit et pâlit à sa vue, elle fut sans doute troublée. Ce serait un pléonasme, une redondance oiseuse dans une étrangère qui raconterait les amours de Phèdre ; mais c’est Phèdre amoureuse, et honteuse de sa passion ; son cœur est plein, tout lui échappe.


Ut vidi, ut perii, ut me malus abstulit error !

Ecl., VIII, 41.


Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue.


Peut-on mieux imiter Virgile ?


Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ;
Je sentis tout mon corps et transir et brûler.