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ANA, ANECDOTES.

Rien n’est plus commun dans la plupart de nos petits livres nouveaux que de voir de vieux bons mots attribués à nos contemporains ; des inscriptions, des épigrammes, faites pour certains princes, appliquées à d’autres.

Il est dit dans cette même Histoire philosophique, etc., tome Ier, page 68, que les Hollandais ayant chassé les Portugais de Malaca, le capitaine hollandais demanda au commandant portugais quand il reviendrait ; à quoi le vaincu répondit : « Quand vos péchés seront plus grands que les nôtres. » Cette réponse avait déjà été attribuée à un Anglais du temps du roi de France Charles VII, et auparavant à un émir sarrasin en Sicile : au reste cette réponse est plus d’un capucin que d’un politique. Ce n’est pas parce que les Français étaient plus grands pécheurs que les Anglais que ceux-ci leur ont pris le Canada.

L’auteur de cette même Histoire philosophique etc., rapporte sérieusement, tome V, page 197, un petit conte inventé par Steele et inséré dans le Spectateur, et il veut faire passer ce conte pour une des causes réelles des guerres entre les Anglais et les sauvages. Voici l’historiette que Steele oppose à l’historiette beaucoup plus plaisante de la matrone d’Éphèse. Il s’agit de prouver que les hommes ne sont pas plus constants que les femmes. Mais dans Pétrone la matrone d’Éphèse n’a qu’une faiblesse amusante et pardonnable ; et le marchand Inkle, dans le Spectateur, est coupable de l’ingratitude la plus affreuse.

Ce jeune voyageur Inkle est sur le point d’être pris par les Caraïbes dans le continent de l’Amérique, sans qu’on dise ni en quel endroit ni à quelle occasion. La jeune Jarika, jolie Caraïbe, lui sauve la vie, et enfin s’enfuit avec lui à la Barbade. Dès qu’ils y sont arrivés, Inkle va vendre sa bienfaitrice au marché. « Ah, ingrat ! ah, barbare ! lui dit Jarika ; tu veux me vendre, et je suis grosse de toi ! — Tu es grosse ? répondit le marchand anglais ; tant mieux, je te vendrai plus cher. »

Voilà ce qu’on nous donne pour une histoire véritable, pour l’origine d’une longue guerre. Le discours d’une fille de Boston à ses juges qui la condamnaient à la correction pour la cinquième fois, parce qu’elle était accouchée d’un cinquième enfant, est une plaisanterie, un pamphlet de l’illustre Franklin ; et il est rapporté dans le même ouvrage comme une pièce authentique. Que de contes ont orné et défiguré toutes les histoires !

Dans un livre qui a fait beaucoup de bruit[1] et où l’on trouve

  1. Le livre de l’Esprit.