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ANA, ANECDOTES.

C’est ce qui n’est point du tout certain ; cela n’est pas même vraisemblable. Ils étaient Florentins ; le grand-duc de Florence avait le premier reconnu Henri IV. Il ne craignait rien tant que le pouvoir de l’Espagne en Italie. Concini et sa femme n’avaient point de crédit du temps de Henri IV. S’ils avaient ourdi quelque trame avec le conseil de Madrid, ce ne pouvait être que par la reine : c’est donc accuser la reine d’avoir trahi son mari. Et, encore une fois, il n’est point permis d’inventer de telles accusations sans preuve. Quoi ! un écrivain dans son grenier pourra prononcer une diffamation que les juges les plus éclairés du royaume trembleraient d’écouter sur leur tribunal !

Pourquoi appeler un maréchal de France et sa femme, dame d’atour de la reine, ces deux misérables ? Le maréchal d’Ancre, qui avait levé une armée à ses frais contre les rebelles, mérite-t-il une épithète qui n’est convenable qu’à Ravaillac, à Cartouche, aux voleurs publics, aux calomniateurs publics ?

Il n’est que trop vrai qu’il suffit d’un fanatique pour commettre un parricide sans aucun complice. Damiens n’en avait point. Il a répété quatre fois dans son interrogatoire qu’il n’a commis son crime que par principe de religion. Je puis dire qu’ayant été autrefois à portée de connaître les convulsionnaires, j’en ai vu plus de vingt capables d’une pareille horreur, tant leur démence était atroce ! La religion mal entendue est une fièvre que la moindre occasion fait tourner en rage. Le propre du fanatisme est d’échauffer les têtes. Quand le feu qui fait bouillir ces têtes superstitieuses a fait tomber quelques flammèches dans une âme insensée et atroce ; quand un ignorant furieux croit imiter saintement Phinées, Aod, Judith et leurs semblables, cet ignorant a plus de complices qu’il ne pense. Bien des gens l’ont excité au parricide sans le savoir. Quelques personnes profèrent des paroles indiscrètes et violentes ; un domestique les répète, il les amplifie, il les enfuneste encore, comme disent les Italiens ; un Chastel, un Ravaillac, un Damiens les recueille ; ceux qui les ont prononcées ne se doutent pas du mal qu’ils ont fait. Ils sont complices involontaires ; mais il n’y a eu ni complot ni instigation. En un mot, on connaît bien mal l’esprit humain si l’on ignore que le fanatisme rend la populace capable de tout.