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ANA, ANECDOTES.

Jacques fit couper la tête publiquement dans Londres en 1685, était l’homme au masque de fer. Il aurait fallu qu’il eût ressuscité, et qu’ensuite il eût changé l’ordre des temps ; qu’il eût mis l’année 1662 à la place de 1685 ; que le roi Jacques, qui ne pardonna jamais à personne, et qui par là mérita tous ses malheurs, eût pardonné au duc de Monmouth, et eût fait mourir au lieu de lui un homme qui lui ressemblait parfaitement. Il aurait fallu trouver ce Sosie qui aurait eu la bonté de se faire couper le cou en public pour sauver le duc de Montmouth. Il aurait fallu que toute l’Angleterre s’y fût méprise ; qu’ensuite le roi Jacques eût prié instamment Louis XIV de vouloir bien lui servir de sergent et de geôlier. Ensuite Louis XIV, ayant fait ce petit plaisir au roi Jacques, n’aurait pas manqué d’avoir les mêmes égards pour le roi Guillaume et pour la reine Anne, avec lesquels il fut en guerre ; et il aurait soigneusement conservé auprès de ces deux monarques sa dignité de geôlier dont le roi Jacques l’avait honoré.

Toutes ces illusions étant dissipées, il reste à savoir qui était ce prisonnier toujours masqué, à quel âge il mourut, et sous quel nom il fut enterré. Il est clair que si on ne le laissait passer dans la cour de la Bastille, si on ne lui permettait de parler à son médecin que couvert d’un masque, c’était de peur qu’on ne reconnût dans ses traits quelque ressemblance trop frappante. Il pouvait montrer sa langue, et jamais son visage. Pour son âge, il dit lui-même à l’apothicaire de la Bastille, peu de jours avant sa mort, qu’il croyait avoir environ soixante ans ; et le sieur Marsolan, chirurgien du maréchal de Richelieu, et ensuite du duc d’Orléans régent, gendre de cet apothicaire, me l’a redit plus d’une fois.

Enfin pourquoi lui donner un nom italien ? on le nomma toujours Marchiali ! Celui qui écrit cet article en sait peut-être plus que le P. Griffet, et n’en dira pas davantage[1].


ADDITION DE L’ÉDITEUR[2]


Il est surprenant de voir tant de savants et tant d’écrivains pleins d’esprit et de sagacité se tourmenter à deviner qui peut

  1. Voyez la lettre à l’abbé Dubos, du 30 octobre 1738.
  2. Cette anecdote, donnée comme une addition de l’éditeur dans l’édition de 1771, passe chez bien des gens de lettres pour être de M. de Voltaire lui-même. Il a