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ANA, ANECDOTES.

— Chose importante dans la crise où l’Europe était alors, et dont il ne parle pas.

« Que le pape Benoît XI embarrassa beaucoup les cordeliers, piqués sur le sujet de la pauvreté, savoir des revenus de saint François, qui s’animèrent à tel point qu’ils lui firent la guerre par livres. » — Chose plus importante encore, et plus savante, surtout quand on prend Jean XXII pour Benoît XI, et quand, dans un testament politique, on ne parle ni de la manière dont il faut conduire la guerre contre l’Empire et l’Espagne, ni des moyens de faire la paix, ni des dangers présents, ni des ressources, ni des alliances, ni des généraux, ni des ministres qu’il faut employer, ni même du dauphin, dont l’éducation importait tant à l’État ; enfin d’aucun objet du ministère.

Je consens de tout mon cœur qu’on charge, puisqu’on le veut, la mémoire du cardinal de Richelieu de ce malheureux ouvrage rempli d’anachronismes, d’ignorances, de calculs ridicules, de faussetés reconnues, dont tout commis un peu intelligent aurait été incapable ; qu’on s’efforce de persuader que le plus grand ministre a été le plus ignorant et le plus ennuyeux, comme le plus extravagant de tous les écrivains. Cela peut faire quelque plaisir à tous ceux qui détestent sa tyrannie.

Il est bon même pour l’histoire de l’esprit humain qu’on sache que ce détestable ouvrage fut loué pendant plus de trente ans, tandis qu’on le croyait d’un grand ministre.

Mais il ne faut pas trahir la vérité pour faire croire que le livre est du cardinal de Richelieu, Il ne faut pas dire « qu’on a trouvé une suite du premier chapitre du Testament politique, corrigée en plusieurs endroits de la main du cardinal de Richelieu », parce que cela n’est pas vrai. On a trouvé au bout de cent ans un manuscrit intitulé Narration succincte ; cette narration succincte n’a aucun rapport au Testament politique. Cependant on a eu l’artifice de la faire imprimer comme un premier chapitre du Testament avec des notes.

À l’égard des notes, ou ne sait de quelles mains elles sont.

Ce qui est très vrai, c’est que le testament prétendu ne fit du bruit dans le monde que trente-huit ans après la mort du cardinal ; qu’il ne fut imprimé que quarante-deux ans après sa mort ; qu’on n’a jamais vu l’original signé de lui ; que le livre est très mauvais, et qu’il ne mérite guère qu’on en parle[1].

  1. Voltaire n’a jamais changé d’opinion sur le Testament du cardinal de Richelieu. Il en parle fréquemment dans ses ouvrages. Voyez Mélanges, années 1740, 1764, 1765, etc. Dès 1737 il s’était expliqué à cet égard (voyez dans les Mélanges, à cette date, les Conseils à un journaliste) ; et il s’exprimait de même trente-neuf ans après : voyez dans la Correspondance la lettre du 2 mai 1776. (B.)