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ANA, ANECDOTES.



LETTRE DE M. DE VOLTAIRE SUR PLUSIEURS ANECDOTES.


Nous croyons devoir terminer cet article des anecdotes par une lettre de M. de Voltaire à M. Damilaville, philosophe intrépide, et qui seconda plus que personne son ami M. de Voltaire dans la catastrophe mémorable des Calas et des Sirven. Nous prenons cette occasion de célébrer autant qu’il est en nous la mémoire de ce citoyen, qui dans une vie obscure a montré des vertus qu’on ne rencontre guère dans le grand monde. Il faisait le bien pour le bien même, fuyant les hommes brillants, et servant les malheureux avec le zèle de l’enthousiasme. Jamais homme n’eut plus de courage dans l’adversité et à la mort. Il était l’ami intime de M. de Voltaire et de M. Diderot. Voici la lettre en question.


« Au château de Ferney, 7 mai 1762.


« Par quel hasard s’est-il pu faire, mon cher ami, que vous ayez lu quelques feuilles de l’Année littéraire de maître Aliboron ? chez qui avez-vous trouvé ces rapsodies ? il me semble que vous ne voyez pas d’ordinaire mauvaise compagnie. Le monde est inondé des sottises de ces folliculaires qui mordent parce qu’ils ont faim, et qui gagnent leur pain à dire de plates injures.

« Ce pauvre Fréron[1], à ce que j’ai ouï dire, est comme les

  1. Le folliculaire dont on parle est celui-là même qui, ayant été chassé des jésuites, a composé des libelles pour vivre, et qui a rempli ses libelles d’anecdotes prétendues littéraires. En voici une sur son compte :
    Lettre du sieur Royou, avocat au parlement de Bretagne,
    beau-frère du nommé Fréron.
    « Mardi matin 6 mars 1770.

    « Fréron épousa ma sœur il y a trois ans, en Bretagne : mon père donna vingt mille livres de dot. Il les dissipa avec des filles, et donna du mal à ma sœur. Après quoi il la fit partir pour Paris, dans le panier du coche, et la fit coucher en chemin sur la paille. Je courus demander raison à ce malheureux. Il feignit de se repentir. Mais comme il faisait le métier d’espion, et qu’il sut qu’en qualité d’avocat j’avais pris parti dans les troubles de Bretagne, il m’accusa auprès de M. de ....., et obtint une lettre de cachet pour me faire enfermer. Il vint lui-même avec des archers dans la rue des Noyers, un lundi à dix heures du matin, me fit charger de chaînes, se mit à côté de moi dans un fiacre, et tenait lui-même le bout de la chaîne etc. »

    Nous ne jugeons point ici entre les deux beaux-frères. Nous avons la lettre originale. On dit que ce Fréron n’a pas laissé de parler de religion et de vertu dans ses feuilles. Adressez-vous à son marchand de vin. (Note de Voltaire.) — Cette note existe dès 1770 ; voyez aussi dans la Correspondance le Mémoire à la suite de la lettre à d’Alembert, du 19 mars 1770. (B.)