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ANTHROPOPHAGES.

où l’un des chefs, nommé Critognat, proposa de manger tous les enfants l’un après l’autre, pour soutenir les forces des combattants. Son avis passa à la pluralité des voix. Ce n’est pas tout ; Critognat, dans sa harangue, dit que leurs ancêtres avaient déjà eu recours à une telle nourriture dans la guerre contre les Teutons et les Cimbres.

Finissons par le témoignage de Montaigne. Il parle de ce que lui ont dit les compagnons de Villegagnon, qui revenait du Brésil, et de ce qu’il a vu en France. Il certifie que les Brasiliens mangeaient leurs ennemis tués à la guerre ; mais lisez ce qu’il ajoute[1]. « Où est plus de barbarie à manger un homme mort qu’à le faire rôtir par le menu, et le faire meurtrir aux chiens et pourceaux, comme nous avons vu de fraîche mémoire, non entre ennemis anciens, mais entre voisins et concitoyens ; et, qui pis est, sous prétexte de piété et de religion ? » Quelles cérémonies pour un philosophe tel que Montaigne ! Si Anacréon et Tibulle étaient nés Iroquois, ils auraient donc mangé des hommes ?... Hélas !


SECTION III[2].


Eh bien ! voilà deux Anglais qui ont fait le voyage du tour du monde. Ils ont découvert que la Nouvelle-Hollande est une île plus grande que l’Europe, et que les hommes s’y mangent encore les uns les autres ainsi que dans la Nouvelle-Zélande. D’où provient cette race, supposé qu’elle existe ? Descend-elle des anciens Égyptiens, des anciens peuples de l’Ethiopie, des Africains, des Indiens, ou des vautours, ou des loups ? Quelle distance des Marc-Aurèle, des Épictète, aux anthropophages de la Nouvelle-Zélande ! cependant ce sont les mêmes organes, les mêmes hommes. J’ai déjà parlé[3] de cette propriété de la race humaine : il est bon d’en dire encore un mot.

Voici les propres paroles de saint Jérôme dans une de ses lettres : « Quid loquar de cæteris nationibus, quum ipse adolescentulus in Gallia viderim Scotos, gentem britannicam, humanis vesci carnibus ; et quum per sylvas porcorum greges, et armentorum pecudumque reperiant, pastorum nates et fœminarum papillas

  1. Lib. I, chapitre xxx. (Note de Voltaire.)
  2. Dans les Questions sur l’Encyclopédie, neuvième partie, 1772, l’article Anthropophages se composait des trois premiers alinéas de cette troisième section. (B.)
  3. Voyez tome XI, page 18, et tome XII, page 370.