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ANTI-LUCRÈCE.

ment inconnus à mon esprit, mais dont la morale était dans mon cœur. Je n’ai pu admettre des dieux tels qu’ils m’étaient annoncés dans le paganisme. J’étais trop raisonnable pour adorer des divinités qu’on faisait naître d’un père et d’une mère comme les mortels, et qui comme eux se faisaient la guerre. J’étais trop ami de la vertu pour ne pas haïr une religion qui tantôt invitait au crime par l’exemple de ces dieux mêmes, et tantôt vendait à prix d’argent la rémission des plus horribles forfaits. D’un côté je voyais partout des hommes insensés, souillés de vices, qui cherchaient à se rendre purs devant des dieux impurs, et de l’autre, des fourbes qui se vantaient de justifier les plus pervers, soit en les initiant à des mystères, soit en faisant couler sur eux goutte à goutte le sang des taureaux, soit en les plongeant dans les eaux du Gange. Je voyais les guerres les plus injustes entreprises saintement, dès qu’on avait trouvé sans tache le foie d’un bélier, ou qu’une femme, les cheveux épars et l’œil troublé, avait prononcé des paroles dont ni elle ni personne ne comprenait le sens. Enfin je voyais toutes les contrées de la terre souillées du sang des victimes humaines que des pontifes barbares sacrifiaient à des dieux barbares. Je me sais bon gré d’avoir détesté de telles religions. La mienne est la vertu. J’ai invité mes disciples à ne se point mêler des affaires de ce monde, parce qu’elles étaient horriblement gouvernées. Un véritable épicurien était un homme doux, modéré, juste, aimable, duquel aucune société n’avait à se plaindre, et qui ne payait pas des bourreaux pour assassiner en public ceux qui ne pensaient pas comme lui. De ce terme à celui de la religion sainte qui vous a nourri, il n’y a qu’un pas à faire. J’ai détruit les faux dieux ; et si j’avais vécu avec vous, j’aurais connu le véritable.

C’est ainsi qu’Épicure pourrait se justifier sur son erreur : il pourrait même mériter sa grâce sur le dogme de l’immortalité de l’âme, en disant : Plaignez-moi d’avoir combattu une vérité que Dieu a révélée cinq cents ans après ma naissance. J’ai pensé comme tous les premiers législateurs païens du monde, qui tous ignoraient cette vérité.

J’aurais donc voulu que le cardinal de Polignac eût plaint Épicure en le condamnant ; et ce tour n’en eût pas été moins favorable à la belle poésie.

A l’égard de la physique, il me paraît que l’auteur a perdu beaucoup de temps et beaucoup de vers à réfuter la déclinaison des atomes, et les autres absurdités dont le poème de Lucrèce fourmille. C’est employer de l’artillerie pour détruire une chau-