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ANTIQUITÉ.

la bataille perdue à Chéronée ; et à Rome celle de la bataille de Cannes.

On perpétuait le souvenir de ce qui pouvait encourager les hommes, et non de ce qui pouvait leur inspirer la lâcheté du désespoir. Cela est si vrai qu’on imaginait des fables pour avoir le plaisir d’instituer des fêtes. Castor et Pollux n’avaient pas combattu pour les Romains auprès du lac Régile ; mais des prêtres le disaient au bout de trois ou quatre cents ans, et tout le peuple dansait. Hercule n’avait point délivré la Grèce d’une hydre à sept têtes ; mais on chantait Hercule et son hydre.


SECTION III.


Fêtes instituées sur des chimères.


Je ne sais s’il y eut dans toute l’antiquité une seule fête fondée sur un fait avéré. On a remarqué ailleurs[1] à quel point sont ridicules les scoliastes qui vous disent magistralement : Voilà un ancien hymne à l’honneur d’Apollon, qui visita Claros : donc Apollon est venu à Claros. On a bâti une chapelle à Persée : donc il a délivré Andromède. Pauvres gens ! dites plutôt : Donc il n’y a point eu d’Andromède.

Eh ! que deviendra donc la savante antiquité qui a précédé les olympiades ! Elle deviendra ce qu’elle est, un temps inconnu, un temps perdu, un temps d’allégories et de mensonges, un temps méprisé par les sages, et profondément discuté par les sots qui se plaisent à nager dans le vide comme les atomes d’Épicure.

Il y avait partout des jours de pénitence, des jours d’expiation dans les temples ; mais ces jours ne s’appelèrent jamais d’un mot qui répondît à celui de fêtes. Toute fête était consacrée au divertissement : et cela est si vrai que les prêtres égyptiens jeûnaient la veille pour manger mieux le lendemain : coutume que nos moines ont conservée. Il y eut sans doute des cérémonies lugubres : on ne dansait pas le branle des Grecs en enterrant ou en portant au bûcher son fils et sa fille ; c’était une cérémonie publique, mais certainement ce n’était pas une fête.

  1. Voyez dans les Mélanges, année 1749, les paragraphes xxv et xxvi de l’opuscule Des Mensonges imprimés. Voyez aussi ci-après l’article Histoire ; et encore tome XI, page 73, et tome XIII, page 173.