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APOCALYPSE.

Les catholiques et les protestants ont tous expliqué l’Apocalypse en leur faveur, et chacun y a trouvé tout juste ce qui convenait à ses intérêts. Ils ont surtout fait de merveilleux commentaires sur la grande bête à sept têtes et à dix cornes, ayant le poil d’un léopard, les pieds d’un ours, la gueule du lion, la force du dragon ; et il fallait, pour vendre et acheter, avoir le caractère et le nombre de la bête ; et ce nombre était 666.

Bossuet trouve que cette bête était évidemment l’empereur Dioclétien, en faisant un acrostiche de son nom. Grotius croyait que c’était Trajan. Un curé de Saint-Sulpice, nommé La Chétardie, connu par d’étranges aventures, prouve que la bête était Julien. Jurieu prouve que la bête est le pape. Un prédicant a démontré que c’est Louis XIV. Un bon catholique a démontré que c’est le roi d’Angleterre Guillaume. Il n’est pas aisé de les accorder tous[1].

Il y a eu de vives disputes concernant les étoiles qui tombèrent du ciel sur la terre, et touchant le soleil et la lune qui furent frappés à la fois de ténèbres dans leur troisième partie.

Il y a eu plusieurs sentiments sur le livre que l’ange fit manger à l’auteur de l’Apocalypse, lequel livre fut doux à la bouche et amer dans le ventre. Jurieu prétendait que les livres de ses adversaires étaient désignés par là ; et on rétorquait son argument contre lui.

On s’est querellé sur ce verset[2] : « J’entendis une voix dans le ciel, comme la voix des grandes eaux, et comme la voix d’un grand tonnerre ; et cette voix que j’entendis était comme des harpeurs harpants sur leurs harpes. » Il est clair qu’il valait mieux respecter l’Apocalypse que la commenter.

Camus, évêque de Belley, fit imprimer au siècle précédent un gros livre contre les moines, qu’un moine défroqué abrégea ; il fut intitulé Apocalypse[3] parce qu’il y révélait les défauts et les

  1. Un savant moderne a prétendu prouver que cette bête de l’Apocalypse n’est autre chose que l’empereur Caligula. Le nombre de 666 est la valeur numérale des lettres de son nom. Ce livre est, selon l’auteur, une prédiction des désordres du règne de Caligula, faite après coup, et à laquelle on ajouta des prédictions équivoques de la ruine de l’empire romain. Voilà par quelle raison les protestants qui ont voulu trouver dans l’Apocalypse la puissance papale et sa destruction ont rencontré quelques explications très-frappantes. (K.)
  2. Chapitre xiv, 2.
  3. L’ouvrage de Camus est intitulé Saint Augustin ; de l’ouvrage des moines, ensemble quelques pièces de saint Thomas et de saint Bonaventure sur le même sujet, le tout rendu en notre langue, et assorti de réflexions sur l’usage du temps. Rouen, 1633, in-8o. Dix ans après la mort de Camus, le P. Pithois, minime défroqué, en fit paraître un abrégé sous ce titre : l’Apocalypse de Méliton, ou Révélations des mystères cénobitiques, par Méliton Saint-Léger, 1662, in-24 ; réimprimé deux fois en 1668, in-12. (B.)