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ARABES.

Labid, fils de Rabia, passait pour l’Homère des Mecquois ; mais ayant vu le second chapitre de l’Alcoran que Mahomet avait affiché, il se jeta à ses genoux, et lui dit : « Ô Mohammed, fils d’Abdallah, fils de Motaleb, fils d’Achem, vous êtes un plus grand poëte que moi ; vous êtes sans doute le prophète de Dieu. »

Autant les Arabes du désert étaient voleurs, autant ceux de Maden, de Naïd, de Sanaa, étaient généreux. Un ami était déshonoré dans ces pays quand il avait refusé des secours à un ami.

Dans leur recueil de vers intitulé Tograïd, il est rapporté qu’un jour, dans la cour du temple de la Mecque, trois Arabes disputaient sur la générosité et l’amitié, et ne pouvaient convenir qui méritait la préférence de ceux qui donnaient alors les plus grands exemples de ces vertus. Les uns tenaient pour Abdallah, fils de Giafar, oncle de Mahomet; les autres pour Kaïs, fils de Saad ; et d’autres pour Arabad, de la tribu d’As. Après avoir bien disputé, ils convinrent d’envoyer un ami d’Abdallah vers lui, un ami de Kaïs vers Kaïs, et un ami d’Arabad vers Arabad, pour les éprouver tous trois, et venir ensuite faire leur rapport à l’assemblée.

L’ami d’Abdallah courut donc à lui, et lui dit : « Fils de l’oncle de Mahomet, je suis en voyage et je manque de tout. » Abdallah était monté sur son chameau chargé d’or et de soie ; il en descendit au plus vite, lui donna son chameau, et s’en retourna à pied dans sa maison.

Le second alla s’adresser à son ami Kaïs, fils de Saad. Kaïs dormait encore ; un de ses domestiques demande au voyageur ce qu’il désire. Le voyageur répond qu’il est l’ami de Kaïs, et qu’il a besoin de secours. Le domestique lui dit : « Je ne veux pas éveiller mon maître ; mais voilà sept mille pièces d’or, c’est tout ce que nous avons à présent dans la maison ; prenez encore un chameau dans l’écurie avec un esclave ; je crois que cela vous suffira jusqu’à ce que vous soyez arrivé chez vous. » Lorsque Kaïs fut éveillé, il gronda beaucoup le domestique de n’avoir pas donné davantage.

Le troisième alla trouver son ami Arabad de la tribu d’As. Arabad était aveugle, et il sortait de sa maison, appuyé sur deux esclaves, pour aller prier Dieu au temple de la Mecque ; dès qu’il eut entendu la voix de l’ami, il lui dit : « Je n’ai de bien que mes deux esclaves, je vous prie de les prendre et de les vendre ; j’irai au temple comme je pourrai avec mon bâton. »

Les trois disputeurs étant revenus à l’assemblée racontèrent fidèlement ce qui leur était arrivé. On donna beaucoup de