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ARBRE À SUIF.

être, et cependant on prodigue quelquefois ridiculement cette denrée essentielle.

Les amidonniers emploient la meilleure farine pour couvrir la tête de nos jeunes gens et de nos femmes.

Le Dictionnaire encyclopédique remarque, avec très-grande raison, que le pain bénit, dont on ne mange presque point, et dont la plus grande partie est perdue, monte en France à quatre millions de livres par an. Ainsi, de ce seul article, l’Angleterre est au bout de l’année plus riche de quatre millions que la France.

Les missionnaires ont éprouvé quelquefois de grandes angoisses dans des pays où l’on ne trouve ni pain ni vin. Les habitants leur disaient par interprètes : Vous voulez nous baptiser avec quelques gouttes d’eau, dans un climat brûlant où nous sommes obligés de nous plonger tous les jours dans les fleuves. Vous voulez nous confesser, et vous n’entendez pas notre langue ; vous voulez nous communier, et vous manquez des deux ingrédients nécessaires, le pain et le vin : il est donc évident que votre religion universelle n’a pu être faite pour nous. Les missionnaires répondaient très-justement que la bonne volonté suffit, qu’on les plongerait dans l’eau sans aucun scrupule ; qu’on ferait venir du pain et du vin de Goa ; et quant à la langue, que les missionnaires l’apprendraient dans quelques années.


ARBRE À SUIF[1]


On nomme dans l’Amérique candle-berry-tree, ou bay-berry-tree, ou l’arbre à suif, une espèce de bruyère dont la baie donne une graisse propre à faire des chandelles. Elle croît en abondance dans un terrain bas et bien humecté ; il paraît qu’elle se plaît sur les rivages maritimes.

Cet arbuste est couvert de baies d’où semble suinter une substance blanche et farineuse ; on les cueille à la fin de l’automne lorsqu’elles sont mûres ; on les jette dans une chaudière qu’on remplit d’eau bouillante ; la graisse se fond, et s’élève au-dessus de l’eau : on met dans un vase à part cette graisse refroidie, qui ressemble à du suif ou à de la cire ; sa couleur est communément d’un vert sale. On la purifie, et alors elle devient d’un assez beau vert. Ce suif est plus cher que le suif ordinaire, et coûte

  1. Questions sur l’Encyclopédie, seconde partie. 1770. (B.)