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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome17.djvu/386

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ARISTÉE.

naître les lois juives ; et pour connaître ces lois, que le moindre Juif d'Alexandrie lui aurait traduites pour cent écus, il se proposa d'envoyer une ambassade solennelle au grand-prêtre des Juifs de Jérusalem, de délivrer six vingt mille esclaves juifs que son père Ptolémée Soter avait pris prisonniers en Judée, et de leur donner à chacun environ quarante écus de notre monnaie pour leur aider à faire le voyage agréablement : ce qui fait quatorze millions quatre cent mille de nos livres.

Ptolémée ne se contenta pas de cette libéralité inouïe. Comme il était fort dévot, sans doute, au judaïsme, il envoya au temple à Jérusalem une grande table d'or massif, enrichie partout de pierres précieuses ; et il eut soin de faire graver sur cette table la carte du Méandre, fleuve de Phrygie[1] ; le cours de cette rivière était marqué par des rubis et par des émeraudes. On sent combien cette carte du Méandre devait enchanter les Juifs. Cette table était chargée de deux immenses vases d'or encore mieux travaillés ; il donna trente autres vases d'or, et une infinité de vases d'argent. On n'a jamais payé si chèrement un livre ; on aurait toute la bibliothèque du Vatican à bien meilleur marché.

Éléazar, prétendu grand-prêtre de Jérusalem, lui envoya à son tour des ambassadeurs qui ne présentèrent qu'une lettre en beau vélin écrite en caractères d'or. C'était agir en dignes Juifs que de donner un morceau de parchemin pour environ trente millions.

Ptolémée fut si content du style d'Éléazar qu'il en versa des larmes de joie.

Les ambassadeurs dînèrent avec le roi et les principaux prêtres d'Égypte. Quand il fallut bénir la table, les Égyptiens cédèrent cet honneur aux Juifs.

Avec ces ambassadeurs arrivèrent soixante et douze interprètes, six de chacune des douze tribus, tous ayant appris le grec en perfection dans Jérusalem. C'est dommage, à la vérité, que de ces douze tribus il y en eût dix d'absolument perdues, et disparues de la face de la terre depuis tant de siècles ; mais le grand-prêtre Éléazar les avait retrouvées exprès pour envoyer des traducteurs à Ptolémée.

Les soixante et douze interprètes furent enfermés dans l'île de

  1. Il se peut très-bien pourtant que ce ne fût pas un plan du cours du Méandre, mais ce qu'on appelait en grec un méandre, un lacis, un nœud de pierres précieuses. C'était toujours un fort beau présent. (Note de Voltaire.)