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ART DRAMATIQUE.


Scène traduite de la Cléopâtre de Shakespeare.

Cléopâtre, ayant résolu de se donner la mort, fait venir un paysan qui apporte un panier sous son bras, dans lequel est l’aspic dont elle veut se faire piquer.

Cléopâtre.

As-tu le petit ver du Nil, qui tue et qui ne fait point de mal ?

Le paysan.

En vérité je l’ai ; mais je ne voudrais pas que vous y touchassiez, car sa blessure est immortelle : ceux qui en meurent n’en reviennent jamais.

Cléopâtre.

Te souviens-tu que quelqu’un en soit mort ?

Le paysan.

Oh ! plusieurs, hommes et femmes. J’ai entendu parler d’une, pas plus tard qu’hier : c’était une bien honnête femme, si ce n’est qu’elle était un peu sujette à mentir, ce que les femmes ne devraient faire que par une voie d’honnêteté. Oh ! comme elle mourut vite de la morsure de la bête ! quels tourments elle ressentit ! Elle a dit de très-bonnes nouvelles de ce ver ; mais qui croit tout ce que les gens disent ne sera jamais sauvé par la moitié de ce qu’ils font : cela est sujet à caution. Ce ver est un étrange ver.

Cléopâtre.

Va-t’en, adieu.

Le paysan.

Je souhaite que ce ver-là vous donne beaucoup de plaisir.

Cléopâtre.

Adieu.

Le paysan.

Voyez-vous, madame, vous devez penser que ce ver vous traitera de son mieux.

Cléopâtre.

Bon, bon, va-t’en.

Le paysan.

Voyez-vous, il ne faut se fier à mon ver que quand il est entre les mains des gens sages : car, en vérité, ce ver-là est dangereux.

Cléopâtre.

Ne t’en mets pas en peine, j’y prendrai garde.

Le paysan.

C’est fort bien fait : ne lui donnez rien à manger, je vous en prie ; il ne vaut, ma foi, pas la peine qu’on le nourrisse.