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ART DRAMATIQUE.

pièce régulière, noblement écrite ; mais ayant été réfusée, elle demanda permission de donner ce sujet à M. de La Chaussée, jeune homme qui faisait fort bien des vers, et qui avait de la correction dans le style. Ce fut ce qui valut au public le Préjugé à la mode. (En 1735.)

Cette pièce était bien froide après celles de Molière et de Regnard : elle ressemblait à un homme un peu pesant qui danse avec plus de justesse que de grâce. L’auteur voulut mêler la plaisanterie aux beaux sentiments ; il introduisit deux marquis, qu’il crut comiques, et qui ne furent que forcés et insipides. L’un dit à l’autre :

Si la même maîtresse est l’objet de nos vœux,
L’embarras de choisir la rendra trop perplexe.
Ma foi, marquis, il faut avoir pitié du sexe.

(Le Préjugé à la mode, acte III, scène v.)

Ce n’est pas ainsi que Molière fait parler ses personnages. Dès lors le comique fut banni de la comédie. On y substitua le pathétique : on disait que c’était par bon goût, mais c’était par stérilité.

Ce n’est pas que deux ou trois scènes pathétiques ne puissent faire un très-bon effet. Il y en a des exemples dans Térence ; il y en a dans Molière ; mais il faut après cela revenir à la peinture naïve et plaisante des mœurs.

On ne travaille dans le goût de la comédie larmoyante que parce que ce genre est plus aisé ; mais cette facilité même le dégrade : en un mot, les Français ne surent plus rire.

Quand la comédie fut ainsi défigurée, la tragédie le fut aussi : on donna des pièces barbares, et le théâtre tomba ; mais il peut se relever.

DE L’OPÉRA.

C’est à deux cardinaux que la tragédie et l’opéra doivent leur établissement en France : car ce fut sous Richelieu que Corneille fit son apprentissage, parmi les cinq auteurs que ce ministre faisait travailler, comme des commis, aux drames dont il formait le plan, et où il glissait souvent nombre de très-mauvais vers de sa façon ; et ce fut lui encore qui, ayant persécuté le Cid, eut le bonheur d’inspirer à Corneille ce noble dépit et cette généreuse opiniâtreté qui lui fit composer les admirables scènes des Horaces et de Cinna.

Le cardinal Mazarin fit connaître aux Français l’opéra, qui ne fut d’abord que ridicule, quoique le ministre n’y travaillât point.