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ART DRAMATIQUE.

Est sola in cœlo quies,
Jucunditas sincera,
Voluptas pura,
Et sine nube dies, etc.

Beaumavielle chantait souvent ce motet, et je l’ai entendu plus d’une fois dans la bouche de Thévenard[1] : rien ne me semblait plus conforme à certains morceaux de Lulli. Cette mélodie demande de l’âme, il faut des acteurs, et aujourd’hui il ne faut que des chanteurs ; le vrai récitatif est une déclamation notée, mais on ne note pas l’action et le sentiment.

Si une actrice en grasseyant un peu, en adoucissant sa voix, en minaudant, chantait,

Traître ! attends... je le tiens... je tiens son cœur perfide.

Ah ! je l’immole à ma fureur.

(Armide, v. 5.)

elle ne rendrait ni Quinault, ni Lulli ; et elle pourrait, en faisant ralentir un peu la mesure, chanter sur les mêmes notes.

Ah ! je les vois, je vois vos yeux aimables,

Ah ! je me rends à leurs attraits.

Pergolèse a exprimé dans une musique imitatrice ces beaux vers de l’Artaserse de Metastasio :

Vo solcando un mar crudele
Senza vele,
E senza sarte.
Freme l’onda, il ciel s’imbruna,
Cresce il vento, e manca l’arte ;
E il voler della fortuna
Son costretto a seguilar, etc.

Je priai une des plus célèbres virtuoses de me chanter ce fameux air de Pergolèse. Je m’attendais à frémir au mar crudele, au freme l’onda, au cresce il vento ; je me préparais à toute l’horreur d’une tempête ; j’entendis une voix tendre qui fredonnait avec grâce l’haleine imperceptible des doux zéphyrs.

Dans l’Encyclopédie, à l’article Expression, qui est d’un assez

  1. Beaumavielle, mort en 1688, Thévenard, mort en 1741, étaient basses-tailles à l’Opéra. (B.)