Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome17.djvu/448

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
428
ART DRAMATIQUE.

Pour moi, je suis sûr du contraire de ce qu’on avance ; j’ai consulté des oreilles très-exercées, et je ne vois point du tout qu’on puisse mettre l’allégresse et la vie, au lieu de je porte l’épouvante et la mort, à moins qu’on ne ralentisse la mesure, qu’on n’affaiblisse et qu’on ne corrompe cette musique par une expression doucereuse, et qu’une mauvaise actrice ne gâte le chant du musicien.

J’en dis autant des mots éveillons-nous, auxquels on ne saurait substituer endormons-nous, que par un dessein formé de tourner tout en ridicule ; je ne puis adopter la sensation d’un autre contre ma propre sensation.

J’ajoute qu’on avait le sens commun du temps de Louis XIV comme aujourd’hui ; qu’il aurait été impossible que toute la nation n’eût pas senti que Lulli avait exprimé l’épouvante et la mort comme l’allégresse et la vie, et le réveil comme l’assoupissement.

On n’a qu’à voir comment Lulli a rendu dormons, dormons tous, on sera bientôt convaincu de l’injustice qu’on lui fait. C’est bien ici qu’on peut dire :

Il meglio è l’inimico del bene[1].


  1. C’est ce proverbe que Voltaire rappelle au commencement de l’un de ses Contes (la Bégueule, 1772, tome X) :

    Dans ses écrits un sage italien
    Dit que le mieux est l’ennemi du bien.