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ATHÉISME.
SECTION II.
Des athées modernes. Raisons des adorateurs de Dieu[1].


Nous sommes des êtres intelligents ; or des êtres intelligents ne peuvent avoir été formés par un être brut, aveugle, insensible : il y a certainement quelque différence entre les idées de Newton et des crottes de mulet. L’intelligence de Newton venait donc d’une autre intelligence.

Quand nous voyons une belle machine, nous disons qu’il y a un bon machiniste, et que ce machiniste a un excellent entendement. Le monde est assurément une machine admirable : donc il y a dans le monde une admirable intelligence, quelque part où elle soit. Cet argument est vieux, et n’en est pas plus mauvais.

Tous les corps vivants sont composés de leviers, de poulies, qui agissent suivant les lois de la mécanique ; de liqueurs que les lois de l’hydrostatique font perpétuellement circuler ; et quand on songe que tous ces êtres ont du sentiment, qui n’a aucun rapport à leur organisation, on est accablé de surprise.

Le mouvement des astres, celui de notre petite terre autour du soleil, tout s’opère en vertu des lois de la mathématique la plus profonde. Comment Platon, qui ne connaissait pas une de ces lois, l’éloquent mais le chimérique Platon, qui disait que la terre était fondée sur un triangle équilatère, et l’eau sur un triangle rectangle ; l’étrange Platon, qui dit qu’il ne peut y avoir que cinq mondes, parce qu’il n’y a que cinq corps réguliers : comment, dis-je, Platon, qui ne savait pas seulement la trigonométrie sphérique, a-t-il eu cependant un génie assez beau, un instinct assez heureux, pour appeler Dieu l’éternel géomètre, pour sentir qu’il existe une intelligence formatrice ? Spinosa lui-même l’avoue. Il est impossible de se débattre contre cette vérité, qui nous environne et qui nous presse de tous côtés.

Raisons des athées.

J’ai cependant connu des mutins qui disent qu’il n’y a point d’intelligence formatrice, et que le mouvement seul a formé par lui-même tout ce que nous voyons et tout ce que nous sommes.

  1. Questions sur l’Encyclopédie, deuxième partie, 1770. Les premières pages avaient déjà paru dans le dix-septième entretien de l’A B C (Mélanges, année 1768). (B.)