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AUGURE.

Joseph, ayant fait venir ses frères devant lui, leur dit : « Comment avez-vous pu agir ainsi ? ignorez-vous que personne n’est semblable à moi dans la science des augures ? »

Juda convient, au nom de ses frères[1] que « Joseph est un grand devin ; que c’est Dieu qui l’a inspiré ; Dieu a trouvé l’iniquité de vos serviteurs ». Ils prenaient alors Joseph pour un seigneur égyptien. Il est évident, par le texte, qu’ils croyaient que le dieu des Égyptiens et des Juifs avait découvert à ce ministre le vol de sa tasse.

Voilà donc les augures, la divination très-nettement établie dans le livre de la Genèse, et si bien établie qu’elle est défendue ensuite dans le Lévitique, où il est dit[2] : « Vous ne mangerez rien où il y ait du sang ; vous n’observerez ni les augures ni les songes ; vous ne couperez point votre chevelure en rond ; vous ne vous raserez point la barbe. »

À l’égard de la superstition de voir l’avenir dans une tasse, elle dure encore : cela s’appelle voir dans le verre. Il faut n’avoir éprouvé aucune pollution, se tourner vers l’orient, prononcer abraxa per dominum nostrum ; après quoi on voit dans un verre plein d’eau toutes les choses qu’on veut. On choisit d’ordinaire des enfants pour cette opération ; il faut qu’ils aient leurs cheveux : une tête rasée ou une tête en perruque ne peuvent rien voir dans le verre. Cette facétie était fort à la mode en France sous la régence du duc d’Orléans, et encore plus dans les temps précédents.

Pour les augures, ils ont péri avec l’empire romain ; les évêques ont seulement conservé le bâton augural, qu’on appelle crosse, et qui était une marque distinctive de la dignité des augures ; et le symbole du mensonge est devenu celui de la vérité.

Les différentes sortes de divinations étaient innombrables ; plusieurs se sont conservées jusqu’à nos derniers temps. Cette curiosité de lire dans l’avenir est une maladie que la philosophie seule peut guérir : car les âmes faibles qui pratiquent encore tous ces prétendus arts de la divination, les fous mêmes qui se donnent au diable, font tous servir la religion à ces profanations qui l’outragent.

C’est une remarque digne des sages que Cicéron, qui était du collège des augures, ait fait un livre exprès pour se moquer des augures[3] mais ils n’ont pas moins remarqué que Cicéron, à la fin

  1. Genèse, chapitre xliv, v. 16. (Note de Voltaire.)
  2. Lévitique, chapitre xix, v. 20 et 27. (Id.)
  3. Son traité De Divinatione en deux livres.