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AUGUSTE OCTAVE.

Sénèque dit[1] de lui : « Clementiam non voco lassam crudelitatem ; je n’appelle point clémence la lassitude de la cruauté. »

On croit qu’Auguste devint plus doux quand le crime ne lui fut plus nécessaire, et qu’il vit qu’étant maître absolu il n’avait plus d’autre intérêt que celui de paraître juste. Mais il me semble qu’il fut toujours plus impitoyable que clément : car après la bataille d’Actium il fit égorger le fils d’Antoine au pied de la statue de César, et il eut la barbarie de faire trancher la tête au jeune Césarion, fils de César et de Cléopâtre, que lui-même avait reconnu pour roi d’Égypte.

Ayant un jour soupçonné le préteur Gallius Quintus d’être venu à l’audience avec un poignard sous sa robe, il le fit appliquer en sa présence à la torture, et, dans l’indignation où il fut de s’entendre appeler tyran par ce sénateur, il lui arracha lui-même les yeux, si on en croit Suétone.

On sait que César, son père adoptif, fut assez grand pour pardonner à presque tous ses ennemis ; mais je ne vois pas qu’Auguste ait pardonné à un seul. Je doute fort de sa prétendue clémence envers Cinna. Tacite ni Suétone ne disent rien de cette aventure. Suétone, qui parle de toutes les conspirations faites contre Auguste, n’aurait pas manqué de parler de la plus célèbre. La singularité d’un consulat donné à Cinna pour prix de la plus noire perfidie n’aurait pas échappé à tous les historiens contemporains. Dion Cassius n’en parle qu’après Sénèque, et ce morceau de Sénèque ressemble plus à une déclamation qu’à une vérité historique. De plus, Sénèque met la scène en Gaule, et Dion à Rome. Il y a là une contradiction qui achève d’ôter toute vraisemblance à cette aventure. Aucune de nos histoires romaines, compilées à la hâte et sans choix, n’a discuté ce fait intéressant. L’histoire de Laurent Échard a paru aux hommes éclairés aussi fautive que tronquée : l’esprit d’examen a rarement conduit les écrivains.

Il se peut que Cinna ait été soupçonné ou convaincu par Auguste de quelque infidélité, et qu’après l’éclaircissement Auguste lui ait accordé le vain honneur du consulat; mais il n’est nullement probable que Cinna ait voulu, par une conspiration, s’emparer de la puissance suprême, lui qui n’avait jamais commandé d’armée, qui n’était appuyé d’aucun parti, qui n’était pas enfin un homme considérable dans l’empire. Il n’y a pas d’apparence qu’un simple courtisan subalterne ait eu la folie de vouloir

  1. De Clementia, I, ii.