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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome17.djvu/51

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ABRAHAM.

La science des temps, absolument perdue dans les lieux où les grands événements sont arrivés, est venue enfin dans nos climats, où ces faits étaient ignorés. Nous disputons sur tout ce qui s’est passé vers l’Euphrate, le Jourdain, et le Nil ; et ceux qui sont aujourd’hui les maîtres du Nil, du Jourdain, et de l’Euphrate, jouissent sans disputer.

Notre grande époque étant celle d’Abraham, nous différons de soixante années sur sa naissance. Voici le compte d’après les registres.

«[1] Tharé vécut soixante-dix ans, et engendra Abraham, Nachor, et Aran.

«[2] Et Tharé, ayant vécu deux cent cinq ans, mourut à Haran.

« Le Seigneur dit à Abraham[3] : Sortez de votre pays, de votre famille, de la maison de votre père, et venez dans la terre que je vous montrerai, et je vous rendrai père d’un grand peuple. »

Il paraît d’abord évident par le texte que Tharé ayant eu Abraham à soixante et dix ans, étant mort à deux cent cinq ; et Abraham étant sorti de la Chaldée immédiatement après la mort de son père, il avait juste cent trente-cinq ans lorsqu’il quitta son pays. Et c’est à peu près le sentiment de saint Étienne[4] dans son discours aux Juifs ; mais la Genèse dit aussi :

«[5] Abraham avait soixante et quinze ans lorsqu’il sortit de Haran. »

C’est le sujet de la principale dispute sur l’âge d’Abraham : car il y en a beaucoup d’autres. Comment Abraham était-il à la fois âgé de cent trente-cinq années, et seulement de soixante et quinze ? Saint Jérôme et saint Augustin disent que cette difficulté est inexplicable. Dom Calmet, qui avoue que ces deux saints n’ont pu résoudre ce problème, croit dénouer aisément le nœud en disant qu’Abraham était le cadet des enfants de Tharé, quoique la Genèse le nomme le premier, et par conséquent l’aîné.

La Genèse fait naître Abraham dans la soixante et dixième année de son père ; et Calmet le fait naître dans la cent trentième. Une telle conciliation a été un nouveau sujet de querelle.

Dans l’incertitude où le texte et le commentaire nous laissent, le meilleur parti est d’adorer sans disputer.

Il n’y a point d’époque dans ces anciens temps qui n’ait pro-

  1. Genèse, chapitre xi, v. 26. (Note de Voltaire.)
  2. Ibid., chapitre xi, v. 32. (Id.)
  3. Ibid., chapitre xii, v. 1. (Id.)
  4. Actes des Apôtres, chapitre vii. (Id.)
  5. Genèse, chapitre xii, v. i. (Id.)