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AVOCATS.


AVOCATS[1].


On sait que Cicéron ne fut consul, c’est-à-dire le premier homme de l’univers connu, que pour avoir été avocat. César fut avocat. Il n’en est pas ainsi de maître Le Dain[2] avocat en parlement à Paris, malgré son discours du côté du greffe, contre maître Huerne, qui avait défendu les comédiens par le secours d’une littérature agréable et intéressante. César plaida des causes à Rome dans un autre goût que maître Le Dain, avant qu’il daignât venir nous subjuguer, et faire pendre Arioviste.

Comme nous valons infiniment mieux que les anciens Romains, ainsi qu’on l’a démontré dans un beau livre intitulé Parallèle des anciens Romains et des Français[3], il a fallu que, dans la partie des Gaules que nous habitons, nous partageassions en plusieurs petites portions les talents que les Romains unissaient. Le même homme était chez eux avocat, augure, sénateur et guerrier. Chez nous, un sénateur est un jeune bourgeois qui achète à la taxe un office de conseiller, soit aux enquêtes, soit en cour des aides, soit au grenier à sel, selon ses facultés : le voilà placé pour le reste de sa vie, se carrant dans son cercle dont il ne sort jamais, et croyant jouer un grand rôle sur le globe.

Un avocat est un homme qui, n’ayant pas assez de fortune pour acheter un de ces brillants offices sur lesquels l’univers a les yeux, étudie pendant trois ans les lois de Théodose et de Justinien pour connaître la coutume de Paris, et qui enfin, étant immatriculé, a le droit de plaider pour de l’argent s’il a la voix forte.

Sous notre grand Henri IV, un avocat ayant demandé quinze cents écus pour avoir plaidé une cause, la somme fut trouvée trop forte pour le temps, pour l’avocat, et pour la cause ; tous les avocats alors allèrent déposer leur bonnet au greffe, du côté duquel maître Le Dain a si bien parlé depuis, et cette aventure causa une consternation générale dans tous les plaideurs de Paris[4].

  1. Ce morceau a paru dans le tome III des Nouveaux Mélanges. en 1765. (B.)
  2. L’avocat que Voltaire nomme Le Dain est Étienne-Adrien Dains, bâtonnier de l’ordre des avocats en 1761. Voyez dans les Mélanges, année 1761, la Conversation de l’intendant des menus en exercice.
  3. L’abbé de Mably a fait un Parallèle des Romains et des Français. 1740, 2 volumes in-12.
  4. Pour plus de détails sur cette singulière affaire on peut consulter l’Histoire des avocats en parlement et du barreau de Paris, par M. Fournel, tome II, pages 387 et suivantes.