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BACON (FRANÇOIS).

« Ceux qui tiennent encore pour le plein de Descartes, pour les prétendus effets de la matière subtile, ne peuvent rendre aucune bonne raison de ce fait : car les faits sont leurs écueils. Si tout était plein, quand on leur accorderait qu’il pût y avoir alors du mouvement (ce qui est absolument impossible), au moins cette prétendue matière subtile remplirait exactement le récipient, elle y serait en aussi grande quantité que de l’eau ou du mercure qu’on y aurait mis ; elle s’opposerait au moins à cette descente si rapide des corps ; elle résisterait à ce large morceau de papier selon la surface de ce papier, et laisserait tomber la balle d’or ou de plomb beaucoup plus vite ; mais ces chutes se font au même instant : donc il n’y a rien dans le récipient qui résiste ; donc cette prétendue matière subtile ne peut faire aucun effet sensible dans ce récipient ; donc il y a une autre force qui fait la pesanteur.

« En vain dirait-on qu’il reste une matière subtile dans ce récipient, puisque la lumière le pénètre. Il y a bien de la différence : la lumière qui est dans ce vase de verre n’en occupe certainement pas la cent-millième partie ; mais, selon les cartésiens, il faut que leur matière imaginaire remplisse bien plus exactement le récipient que si je le supposais rempli d’or : car il y a beaucoup de vide dans l’or, et ils n’en admettent point dans leur matière subtile.

« Or, par cette expérience, la pièce d’or, qui pèse cent mille fois plus que le morceau de papier, est descendue aussi vite que le papier : donc la force qui l’a fait descendre a agi cent mille fois plus sur elle que sur le papier ; de même qu’il faudra cent fois plus de force à mon bras pour remuer cent livres que pour remuer une livre ; donc cette puissance qui opère la gravitation agit en raison directe de la masse des corps : elle agit en effet tellement sur la masse des corps, non selon les surfaces, qu’un morceau d’or réduit en poudre descend dans la machine pneumatique aussi vite que la même quantité d’or étendue en feuille. La figure du corps ne change ici en rien sa gravité ; ce pouvoir de gravitation agit donc sur la nature interne des corps, et non en raison des superficies.

« On n’a jamais pu répondre à ces vérités pressantes que par une supposition aussi chimérique que les tourbillons. On suppose que la matière subtile prétendue, qui remplit tout le récipient, ne pèse point. Étrange idée, qui devient absurde ici : car il ne s’agit pas dans le cas présent d’une matière qui ne pèse pas, mais d’une matière qui ne résiste pas. Toute matière résiste par