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BIENS D’ÉGLISE.

n’y aient pas été observées, l’acquéreur ni ses héritiers ne peuvent jamais prescrire ; et de là cette maxime : « Melius est non habere titulum, quam habere vitiosum. » On fonde cette jurisprudence sur ce que l’on présume que l’acquéreur dont le titre n’est pas en forme est de mauvaise foi, et que, suivant les canons, un possesseur de mauvaise foi ne peut jamais prescrire. Mais celui qui n’a point de titres ne devrait-il pas plutôt être présumé usurpateur ? Peut-on prétendre que le défaut d’une formalité que l’on a ignorée soit une présomption de mauvaise foi ? Doit-on dépouiller le possesseur sur cette présomption ? Doit-on juger que le fils qui a trouvé un domaine, dans l’hoirie de son père, le possède avec mauvaise foi parce que celui de ses ancêtres qui acquit ce domaine n’a pas rempli une formalité ?

Les biens de l’Église, nécessaires au maintien d’un ordre respectable, ne sont point d’une autre nature que ceux de la noblesse et du tiers état : les uns et les autres devraient être assujettis aux mêmes règles. On se rapproche aujourd’hui, autant qu’on le peut, de cette jurisprudence équitable.

Il semble que les prêtres et les moines, qui aspirent à la perfection évangélique, ne devraient jamais avoir de procès : «[1] Et ei qui vult tecum judicio contendere, et tunicam tuam tollere, dimitte ei et pallium. »

Saint Basile entend sans doute parler de ce passage lorsqu’il dit[2] qu’il y a dans l’Évangile une loi expresse qui défend aux chrétiens d’avoir jamais aucun procès. Salvien a entendu de même ce passage : «[3] Jubet Christus ne litigemus, nec solum jubet... sed in tantum hoc jubet ut ea ipsa nos de quibus lis est relinquere jubeat, dummodo litibus exuamur. »

Le quatrième concile de Carthage a aussi réitéré ces défenses : « Episcopus nec provocatus de rebus transitoriis litiget. »

Mais, d’un autre côté, il n’est pas juste qu’un évêque abandonne ses droits ; il est homme, il doit jouir du bien que les hommes lui ont donné ; il ne faut pas qu’on le vole parce qu’il est prêtre. (Ces deux sections sont de M. Christin, célèbre avocat au parlement de Besançon, qui s’est fait une réputation immortelle dans son pays, en plaidant pour abolir la servitude[4].)

  1. Matthieu, chapitre v, v. 50. (Note de Voltaire.)
  2. Homel. De Legend. græc. (Id.)
  3. De gubern. Dei, livre III, page 47, édition de Paris, 1645. (Id.)
  4. Cet avocat prit en main la cause des serfs de Saint-Claude. (G. A.)