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BIENS D’ÉGLISE.

L’esclavage mixte est celui qui, étant composé des deux, est ce que la rapacité a jamais inventé de plus exécrable, et ce que les brigands n’oseraient pas même imaginer.

Il y a donc des peuples chrétiens gémissant dans un triple esclavage sous des moines qui ont fait vœu d’humilité et de pauvreté ! Chacun demande comment les gouvernements souffrent ces fatales contradictions : c’est que les moines sont riches, et leurs esclaves sont pauvres ; c’est que les moines, pour conserver leur droit d’Attila, font des présents aux commis, aux maîtresses de ceux qui pourraient interposer leur autorité pour réprimer une telle oppression. Le fort écrase toujours le faible ; mais pourquoi faut-il que les moines soient les plus forts[1] ?

Quel horrible état que celui d’un moine dont le couvent est riche ! la comparaison continuelle qu’il fait de sa servitude et de sa misère avec l’empire et l’opulence de l’abbé, du prieur, du procureur, du secrétaire, du maître des bois, etc., lui déchire l’âme à l’église et au réfectoire. Il maudit le jour où il prononça ses vœux imprudents et absurdes ; il se désespère ; il voudrait que tous les hommes fussent aussi malheureux que lui. S’il a quelque talent pour contrefaire les écritures, il l’emploie en faisant de fausses chartes pour plaire au sous-prieur, il accable les paysans qui ont le malheur inexprimable d’être vassaux d’un couvent : étant devenu bon faussaire, il parvient aux charges ; et comme il est fort ignorant, il meurt dans le doute et dans la rage.


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  1. Fin de l’article en 1770. L’alinéa qui le termine aujourd’hui fut ajouté en 1774 dans l’édition in-4o. (B.)