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ABRAHAM.

différente de ce qu’elle est aujourd’hui. Cependant cette même décrépite, devenue grosse, charme l’année suivante le roi Abimélech, comme nous l’avons vu. Certes, si on regarde ces histoires comme naturelles, il faut avoir une espèce d’entendement tout contraire à celui que nous avons, ou bien il faut regarder presque chaque trait de la vie d’Abraham comme un miracle, ou il faut croire que tout cela n’est qu’une allégorie : quelque parti qu’on prenne, on sera encore très embarrassé. Par exemple, quel tour pourrons-nous donner à la promesse que Dieu fait à Abraham de l’investir, lui et sa postérité, de toute la terre de Chanaan, que jamais ce Chaldéen ne posséda ? C’est là une de ces difficultés qu’il est impossible de résoudre.

Il paraît étonnant que Dieu ayant fait naître Isaac d’une femme de quatre-vingt-quinze ans et d’un père centenaire, il ait ensuite ordonné au père d’égorger ce même enfant qu’il lui avait donné contre toute attente. Cet ordre étrange de Dieu semble faire voir que, dans le temps où cette histoire fut écrite, les sacrifices de victimes humaines étaient en usage chez les Juifs, comme ils le devinrent chez d’autres nations, témoin le vœu de Jephté. Mais on peut dire que l’obéissance d’Abraham, prêt de sacrifier son fils au Dieu qui le lui avait donné, est une allégorie de la résignation que l’homme doit aux ordres de l’Être suprême.

Il y a surtout une remarque bien importante à faire sur l’histoire de ce patriarche, regardé comme le père des Juifs et des Arabes. Ses principaux enfants sont Isaac, né de sa femme par une faveur miraculeuse de la Providence, et Ismaël, né de sa servante. C’est dans Isaac qu’est bénie la race du patriarche, et cependant Isaac n’est le père que d’une nation malheureuse et méprisable, longtemps esclave, et plus longtemps dispersée. Ismaël, au contraire, est le père des Arabes, qui ont enfin fondé l’empire des califes, un des plus puissants et des plus étendus de l’univers.

Les musulmans ont une grande vénération pour Abraham, qu’ils appellent Ibrahim. Ceux qui le croient enterré à Hébron y vont en pèlerinage ; ceux qui pensent que son tombeau est à la Mecque l’y révèrent.

Quelques anciens Persans ont cru qu’Abraham était le même que Zoroastre. Il lui est arrivé la même chose qu’à la plupart des fondateurs des nations orientales, auxquels on attribuait différents noms et différentes aventures ; mais, par le texte de l’Écriture, il paraît qu’il était un de ces Arabes vagabonds qui n’avaient pas de demeure fixe.