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ADORER.

que ceux qui le reconnaissent pour leur père lui donnent toujours le spectacle de ses enfants qui se détestent, qui s’anathématisent, qui se poursuivent, qui se massacrent pour des arguments ?

Il n’est pas aisé d’expliquer au juste ce que les Grecs et les Romains entendaient par adorer ; si l’on adorait les faunes, les sylvains, les dryades, les naïades, comme on adorait les douze grands dieux. Il n’est pas vraisemblable qu’Antinoüs, le mignon d’Adrien, fût adoré par les nouveaux Égyptiens du même culte que Sérapis ; et il est assez prouvé que les anciens Égyptiens n’adoraient pas les ognons et les crocodiles de la même façon qu’Isis et Osiris. On trouve l’équivoque partout, elle confond tout. Il faut à chaque mot dire : Qu’entendez-vous ? Il faut toujours répéter : Définissez les termes[1].

Est-il bien vrai que Simon, qu’on appelle le Magicien, fut adoré chez les Romains ? il estbien plus vrai qu’il y fut absolument ignoré.

Saint Justin, dans son Apologie (Apolog., nos 26 et 56), aussi inconnue à Rome que ce Simon, dit que ce dieu avait une statue élevée sur le Tibre, ou plutôt près du Tibre, entre les deux ponts, avec cette inscription : Simoni deo sancto[2]. Saint Irénée, Tertullien, attestent la même chose ; mais à qui l’attestent-ils ? à des gens qui n’avaient jamais vu Rome ; à des Africains, à des Allobroges, à des Syriens, à quelques habitants de Sichem. Ils n’avaient certainement pas vu cette statue, dont l’inscription est : Semo sanco deo fidio, et non pas Simoni sancto deo.

Ils devaient au moins consulter Denis d’Halicarnasse, qui, dans son quatrième livre, rapporte cette inscription. Semo sanco était un ancien mot sabin, qui signifie demi-homme et demi-dieu. Vous trouvez dans Tite-Live (liv. VIII, ch. xx) : « Bona Semoni sanco censuerunt consecranda. » Ce dieu était un des plus anciens qui fussent révérés à Rome ; il fut consacré par Tarquin le Superbe, et regardé comme le dieu des alliances et de la bonne foi. On lui sacrifiait un bœuf, et on écrivait sur la peau de ce bœuf le traité fait avec les peuples voisins. Il avait un temple auprès de celui de Quirinus. Tantôt on lui présentait des offrandes sous le nom du père Semo, tantôt sous le nom de Sancus fidius. C’est pourquoi Ovide dit dans ses Fastes (liv. VI, v. 213) :


Quærebam nonas Sanco, Fidiove referrem,
An tibi, Semo pater.

  1. Voyez l’article Alexandre. (Note de Voltaire.)
  2. Voyez l’article Éclipse et l’article Noël.