Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome18.djvu/11

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.



DICTIONNAIRE


PHILOSOPHIQUE




BLASPHÈME[1].


C'est un mot grec qui signifie atteinte à la réputation. Blasphemia se trouve dans Démosthène. De là vient, dit Ménage, le mot de blâmer. Blasphème ne fut employé dans l’Église grecque que pour signifier injure faite à Dieu. Les Romains n’employèrent jamais cette expression, ne croyant pas apparemment qu’on pût jamais offenser l’honneur de Dieu comme on offense celui des hommes.

Il n’y a presque point de synonymes. Blasphème n’emporte pas tout à fait l’idée de sacrilège. On dira d’un homme qui aura pris le nom de Dieu en vain, qui dans l’emportement de la colère aura ce qu'on appelle juré le nom de Dieu : C'est un blasphémateur ; mais on ne dira pas : C’est un sacrilège. L'homme sacrilège est celui qui se parjure sur l’Évangile, qui étend sa rapacité sur les choses consacrées, qui détruit les autels, qui trempe sa main dans le sang des prêtres.

Les grands sacrilèges ont toujours été punis de mort chez toutes les nations, et surtout les sacrilèges avec effusion de sang.

L’auteur des Instituts au droit criminel compte parmi les crimes de lèse-majesté divine au second chef l’inobservation des fêtes et des dimanches. Il devait ajouter l'inobservation accompagnée d’un mépris marqué : car la simple négligence est un péché, mais non pas un sacrilège, comme il le dit. Il est absurde de mettre dans le même rang, comme fait cet auteur, la simonie, l’enlèvement d'une religieuse, et l’oubli d'aller à vêpres un jour de fête. C’est un grand exemple des erreurs où tombent les jurisconsultes qui, n’ayant pas été appelés à faire des lois, se mêlent d’interpréter celles de l’État.

  1. Questions sur l'Encyclopédie, troisième partie, 1770. (B.)