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CÉRÉMONIES.

jamais deviné, commence à baisser, et les caudataires des cardinaux se plaignent que tout annonce la décadence.

[1] Un colonel français était dans Bruxelles un an après la prise de cette ville par le maréchal de Saxe ; et, ne sachant que faire, il voulut aller à l’assemblée de la ville. « Elle se tient chez une princesse, lui dit-on. — Soit, répondit l’autre, que m’importe ? — Mais il n’y a que des princes qui aillent là : êtes-vous prince ? — Va, va, dit le colonel, ce sont de bons princes ; j’en avais l’année passée une douzaine dans mon antichambre quand nous eûmes pris la ville, et ils étaient tous fort polis. »

[2] En relisant Horace, j’ai remarqué ce vers dans une épître à Mécène (I, ep. vii) : « Te, dulcis amice, revisam. J’irai vous voir, mon bon ami. » Ce Mécène était la seconde personne de l’empire romain, c’est-à-dire un homme plus considérable et plus puissant que ne l’est aujourd’hui le plus grand monarque de l’Europe.

En relisant Corneille, j’ai remarqué que dans une lettre au grand Scudéri, gouverneur de Notre-Dame de la Garde, il s’exprime ainsi au sujet du cardinal de Richelieu : « Monsieur le cardinal, votre maître et le mien. » C’est peut-être la première fois qu’on a parlé ainsi d’un ministre, depuis qu’il y a dans le monde des ministres, des rois, et des flatteurs. Le même Pierre Corneille, auteur de Cinna, dédie humblement ce Cinna au sieur de Montauron, trésorier de l’épargne, qu’il compare sans façon à Auguste. Je suis fâché qu’il n’ait pas appelé Montauron monseigneur.

On conte qu’un vieil officier qui savait peu le protocole de la vanité, ayant écrit au marquis de Louvois : Monsieur, et n’ayant point eu de réponse, lui écrivit : Monseigneur, et n’en obtint pas davantage, parce que le ministre avait encore le monsieur sur le cœur. Enfin il lui écrivit : À mon Dieu, mon Dieu Louvois ; et au commencement de la lettre il mit : Mon Dieu, mon Créateur[3]. Tout

  1. Dans l’édition de 1754 on lit : « Un colonel français passa il y a un an à Bruxelles, et, ne sachant que faire. » En rapprochant les deux versions, n’est-on pas autorisé à croire que ceci fut écrit en 1747, la prise de Bruxelles étant de 1746 ?
  2. Ce qui fait la fin de cet article avait, sauf quelques différences que j’indiquerai, paru dès 1750 dans le tome IX de l’édition des Œuvres de Voltaire, publiée à Dresde (1748-1754, dix volumes in-8o). Il était intitulé Des Titres. (B.)
  3. Le monseigneur des ministres est presque tombé en désuétude, depuis que les places de secrétaires d’État ont été occupées par des grands qui se seraient crus humiliés de n’être monseigneurs que depuis qu’ils étaient devenus ministres. (K.)

    — Le monseigneur des ministres est revenu. (B.)