Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome18.djvu/151

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
141
CHARLES IX.

mer a produit les montagnes, et que les hommes ont autrefois été poissons.

Combien a-t-on mis de charlatanerie dans l’histoire, soit en étonnant le lecteur par des prodiges, soit en chatouillant la malignité humaine par des satires, soit en flattant des familles de tyrans par d’infâmes éloges ?

La malheureuse espèce qui écrit pour vivre est charlatane d’une autre manière. Un pauvre homme qui n’a point de métier, qui a eu le malheur d’aller au collége, et qui croit savoir écrire, va faire sa cour à un marchand libraire, et lui demande à travailler. Le marchand libraire sait que la plupart des gens domiciliés veulent avoir de petites bibliothèques, qu’il leur faut des abrégés et des titres nouveaux ; il ordonne à l’écrivain un abrégé de l’Histoire de Rapin Thoyras, un abrégé de l’Histoire de l’Église, un Recueil de bons mots tiré du Mènagiana, un Dictionnaire des grands hommes, où l’on place un pédant inconnu à côté de Cicéron, et un sonettiero d’Italie auprès de Virgile.

Un autre marchand libraire commande des romans, ou des traductions de romans. « Si vous n’avez pas d’imagination, dit-il à son ouvrier, vous prendrez quelques aventures dans Cyrus, dans Gusman d’Alfarache, dans les Mémoires secrets d’un homme de qualité, ou d’une femme de qualité ; et du total vous ferez un volume de quatre cents pages à vingt sous la feuille. »

Un autre marchand libraire donne les gazettes et les almanachs de dix années à un homme de génie. « Vous me ferez un extrait de tout cela, et vous me le rapporterez dans trois mois sous le nom d’Histoire fidèle du temps, par monsieur le chevalier de trois étoiles, lieutenant de vaisseau, employé dans les affaires étrangères. »

De ces sortes de livres il y en a environ cinquante mille en Europe ; et tout cela passe comme le secret de blanchir la peau, de noircir les cheveux, et la panacée universelle.


CHARLES IX[1].


Charles IX, roi de France, était, dit-on, un bon poëte. Il est sûr que ses vers étaient admirables de son vivant. Brantôme ne dit pas, à la vérité, que ce roi fût le meilleur poëte de l’Europe ; mais il assure qu’il « faisoit des quadrains fort gentiment, preste-

  1. Questions sur l’Encyclopédie, troisième partie, 1770. (B.)