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DE LA CHINE.

—dans l’économie politique, dans l’agriculture, dans les arts nécessaires, que les Chinois se sont perfectionnés. Nous leur avons enseigné tout le reste ; mais dans cette partie nous devions être leurs disciples.


De l’expulsion des missionnaires de la Chine.


Humainement parlant, et indépendamment des services que les jésuites pouvaient rendre à la religion chrétienne, n’étaient-ils pas bien malheureux d’être venus de si loin porter la discorde et le trouble dans le plus vaste royaume et le mieux policé de la terre ? Et n’était-ce pas abuser horriblement de l’indulgence et de la bonté des peuples orientaux, surtout après les torrents de sang versés à leur occasion au Japon ? scène affreuse dont cet empire n’a cru pouvoir prévenir les suites qu’en fermant ses ports à tous les étrangers.

Les jésuites avaient obtenu de l’empereur de la Chine Kang-hi la permission d’enseigner le catholicisme ; ils s’en servirent pour faire croire à la petite portion du peuple dirigé par eux qu’on ne pouvait servir d’autre maître que celui qui tenait la place de Dieu sur la terre, et qui résidait en Italie sur le bord d’une petite rivière nommée le Tibre ; que toute autre opinion religieuse, tout autre culte, était abominable aux yeux de Dieu, et qu’il punirait éternellement quiconque ne croirait pas aux jésuites ; que l’empereur Kang-hi, leur bienfaiteur, qui ne pouvait pas prononcer christ, parce que les Chinois n’ont point la lettre R, serait damné à tout jamais ; que l’empereur Yong-tching, son fils, le serait sans miséricorde ; que tous les ancêtres des Chinois et des Tartares l’étaient ; que leurs descendants le seraient, ainsi que tout le reste de la terre ; et que les révérends pères jésuites avaient une compassion vraiment paternelle de la damnation de tant d’âmes.

Ils vinrent à bout de persuader trois princes du sang tartare. Cependant l’empereur Kang-hi mourut à la fin de 1722. Il laissa l’empire à son quatrième fils Yong-tching, qui a été si célèbre dans le monde entier par la justice et par la sagesse de son gouvernement, par l’amour de ses sujets, et par l’expulsion des jésuites.

Ils commencèrent par baptiser les trois princes et plusieurs personnes de leur maison : ces néophytes eurent le malheur de désobéir à l’empereur en quelques points qui ne regardaient que le service militaire. Pendant ce temps-là même l’indignation de tout l’empire éclata contre les missionnaires ; tous les gouver-